Le militantisme pictural de Gérard Tisserand

Le militantisme pictural de Gérard Tisserand

De Gérard Tisserand, qu’il présente jusqu’au 14 novembre à la galerie Dorfmann, Lucas Djaou dit qu’il est un créateur « libre, à l’écart des modes et des étiquettes, accomplissant une œuvre engagée sans se soucier de la critique ». Ces mêmes mots pourraient qualifier la galerie elle-même, qui, coutumière des revival, entend cette fois pallier les lacunes institutionnelles en présentant des œuvres brossant le portrait d’une époque et permettant au regardeur de se confronter à un discours en peinture d’ordre politique et social d’une rare entièreté. 

/// Emma Noyant


Un monsieur qui fait chou blanc, 1974. Huile, acrylique, gouache et technique mixte sur toile, 100 x 100 cm

Est-ce que sa rencontre avec Paul Rebeyrolle dans le milieu des années 50 à la Ruche, alors que le jeune natif de Besançon s’installe tout juste à Paris, qui l’oriente vers des choix picturaux d’une telle intransigeance ? Surement, quand on sait combien les débats artistiques allaient bon train à la Ruche en ce temps-là. La mouvance de la Jeune Peinture, dont l’initiative revient à Rebeyrolle en 1949 et qu’il rejoint, le conduit à intégrer les canaux d’un art antiélitiste non reconnu par le marché et les institutions – ceux-ci étant alors majoritairement enclins à montrer de l’art abstrait. Plus tard, les évènements de 68 lui inspirent la création de la Coopérative des Malassis, ce collectif d’artistes crée en 69 avec quatre autres peintres – dont Henri Cueco. Travaillant à plusieurs mains sur une même toile de format monumental, le groupe préfère la location à la vente , comme moyen de partager ses images. Par cette démarche, c’est l’individualisme de l’artiste starifié que ceux qui mettent le politiquement correct à mal en s’en prenant aussi à la société de consommation attaquent. Autre preuve d’une lutte, qui pour autant, ne se revendique d’aucun parti, ils n’hésitent pas à lier la parole à l’acte en décrochant leur fresque Le Grand Méchouli faisant le procès du gaullisme, et en rejoignant dans la rue des manifestants qui considèrent l’exposition comme une « entreprise publicitaire de prestiges », à l’occasion du vernissage 60-72 Douze ans d’art contemporain en France au Grand Palais. Incontestablement, le militantisme de ses fréquentations a pétri l’œuvre de Tisserand d’un esprit de contestation, lui qui, jusqu’à sa venue à Paris, n’avait encore que le cursus classique de l’école des Beaux-Arts de Dijon. Autre lien à Rebeyrolle, d’ordre purement esthétique cette fois, le peintre développe entre 1960 et 1964 une figuration de la torsion des figures. 

Vive les vacances, 1975. Huile, acrylique, gouache et technique mixte sur toile, 150 x 165,5 cm

Sans titre (Michel Parré dans sa piscine), 1975. Huile, acrylique, gouache et technique mixte sur toile, 180 x 220 cm

L’accrochage de la galerie Patricia Dorfmann donne quant à lui la part belle à ses œuvres tardives, d’apparence plus lisse mais non moins profondes, et peintes vers la fin des années 60 et 70. Parmi les causes et intérêts qu’il y défend, l’acquisition de droits sociaux tels que les congés payés dans Vive les vacances (1975), le regard sur les femmes dans L’Île de Seins (1976), ou certaines déviances des hautes sphères dans La Famille Willot, les frères Villot ou une belle famille, (1964). Sans ménager son spectateur, l’artiste caricature la bien-pensance de l’époque dans sa série Les technoclaques, avec notamment un Portrait de socialiste mangé à toutes les sauces, et dont le rouge de la couleur politique est comme le rouge sang de celui qui, se délestant de ses convictions, appartient à tous les clans jusqu’à se perdre à ce jeux dangereux. On l’aura compris, cette peinture est un tribunal intraitable. Et avec autodérision, celui qui se met en scène ainsi que son entourage dans ses toiles rappelle qu’il participe lui aussi à cette comédie humaine : « Je suis témoin de ma propre histoire. Je peux me moquer des gens : j’en fais partie. » Aussi sommes-nous tous conviés à nous remettre en question en regardant ces toiles provocantes, mais au discours fondé, et toujours d’actualité. « C’est quelqu’un de la vie courante et du quotidien. Il représente tout le monde : vous, moi, lui, elle, » confirme Lucas Djaou, rappelant que Tisserand est l’un des plus grands oubliés de la peinture du XXe siècle.  

Galerie Patricia Dorfmann

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Galerie Patricia Dorfmann

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