Dans l’exposition « Sur-faces », les toiles de Yann Peron et de Gérard Lusteau s’accordent dans un heureux dialogue sur les murs de l’espace Cécilia F. Dans leurs peintures, l’eau constitue le point de départ à une réflexion sur la temporalité, appréhendée singulièrement par chaque artiste.
/// Emma Boutier
Arrêt sur image : les récits de Gérard Lusteau
Les plongeurs de la série Lignes d’eau existent dans un instant suspendu. Bonnet de bain ajusté, lunettes sur le nez, position parfaitement calculée, tout suggère que les secondes qui suivent seront celles du plongeon.
Lusteau donne de la consistance à un instant fugitif et sans noblesse. Il fait du moment précédant l’action le sujet de ses tableaux, invitant le spectateur à considérer cet instant qui, autrement, s’évaporerait dans l’euphorie de la nage qu’il précède. L’artiste nous conduit à repenser notre rapport au temps, pour nous défaire d’une conception téléologique célébrant la fin et effaçant la succession de moments qui y mène.
Vêtus de maillots de bain rayés qui nourrissent un imaginaire vintage, ces plongeurs semblent issus d’un zootrope, jouet optique créant une illusion de mouvement à une suite de dessins inanimés. Le spectateur, presque frustré de ne pas assister au coeur de l’action, déroule instinctivement la suite du récit.
Ainsi, Lusteau révèle la nature dialectique du tableau, qui ne peut s’actualiser que dans sa relation avec le spectateur, dont le regard est constitutif de sa qualité d’oeuvre d’art. « C’est le regardeur qui fait l’oeuvre », disait Marcel Duchamp.
À l’épreuve du temps : le mouvement des surfaces de Yann Péron
Chez Yann Peron, dit PY, le temps est plus distendu. L’artiste entretient un rapport très sensuel à la peinture, qui dicte son geste dans un processus proche de l’automatisme. Lisière entre deux mondes, la surface est célébrée et son potentiel pictural mis au jour.
Dans Joyeuse pluie, le travail de la matière vise à reproduire l’effet des intempéries, les accidents, toutes ces imperfections qui caractérisent le naturel. Le geste du peintre y est très présent, sensible dans les coulures et les touches qui animent l’ensemble. La figuration signifie le temps qui passe : les ondes circulaires traduisent le clapotement continu des gouttes de pluie sur l’eau stagnante.
Chez Peron, la surface occupe tout l’espace du tableau. L’artiste peint des détails de nature qui, paradoxalement, disent son immensité. La série Effets de reflets joue de la verticalité de la toile, utilisée pour mettre en avant la dilution de la peinture, qui dessine sa trace en s’écoulant naturellement, créant des nuances qui imitent le miroitement de la surface aquatique. Semblables à des études, l’apparente instantanéité de ces représentations les rattache à une dimension expérimentale. Le même fragment d’espace est capturé à différents moments de la journée, disant à la fois sa permanence et son évolution sous l’effet de phénomènes naturels.
Réunis dans un accrochage en face-à-face, Yann Péron et Gérard Lusteau nous enjoignent à adopter diverses attitudes : prendre le temps de la contemplation ou participer activement à la recomposition du récit. De toutes façons, l’imaginaire est activé.
Espace Cécilia F.
- Pays : France