Vous le connaissez peut-être comme l’inventeur du Blufunk – genre musical croisant le blues et le funk – mais c’est en tant que dessinateur que Keziah Jones investit l’espace de la Galerie Eric Dupont, à l’occasion de sa première exposition. Dans ses tableaux, l’artiste poursuit ses recherches sur le croisement des disciplines, en alliant musique et dessin.
/// Emma Boutier
Originaire de Lagos, Keziah Jones souhaite s’imposer comme le porte-étendard d’une modernité africaine, rompant avec l’imagerie misérabiliste et alarmiste qui persiste en Europe. Il appartient à une génération d’artistes qui, par leur pratique, souhaite déconstruire le prisme colonial qui définit encore la vision européenne du continent africain.
« Les dessins eux-mêmes émergent d’une réaction vers une impasse à l’écriture d’une chanson […] ces lignes dans le dessin sont ‘la solution à des problèmes musicaux’ », Keziah Jones.
Keziah Jones se définit avant tout comme compositeur-interprète. Son rapport au dessin est intrinsèquement lié à la musique, et répond à la nécessité de faire le vide avant de créer des chansons. Après quelques heures passées à s’étourdir dans les lignes zigzagantes, la musique vient à se composer naturellement, comme la suite logique.
Chez Jones, musique et dessin s’unissent dans une dialectique sensorielle. Il crée en suivant les étapes d’un processus créatif synesthésique, dans lequel chaque son correspond à une image, matérialisée dans la simplicité d’une ligne courant librement sur la toile. Au rythme du jazz, l’artiste dessine les émotions déclenchées par la musique. Il accomplit avec son corps un travail comparable à celui de Vladimir Baranoff Rossiné et son piano optophonique, dont l’action d’une touche projette une image colorée, réalisant l’union entre musique et art visuel.
Sa pratique est aussi très sensuelle, et ses dessins sont à comprendre comme l’empreinte de ses mouvements. La position instinctive du bras dicte l’orientation de la ligne. C’est donc le corps qui détermine le dessin, et non l’inverse.
Aucune forme ne prédétermine la procédure, aucun objectif de rendu visuel ne trace le chemin à suivre. Si la pratique peut faire penser à l’automatisme, il s’agit de tout autre chose. Jones ne crée pas à partir d’images, qu’elles fussent physiques ou mentales. Traducteur, il transporte la musique de l’audible au visible, faisant dialoguer deux langues étrangères.
Ce n’est que dans un second temps que l’esprit projette sur ces lignes musicales des images préconçues. Elles émergent aléatoirement dans la succession des traits, leurs croisements, leurs courbes. Le spectateur, décelant progressivement des formes, se trouve simultanément face au processus créatif et à l’oeuvre finie. Les dessins de Jones superposent le temps de la création à celui de la réception, de la même façon que le public d’un concert assiste au morceau en train de se créer. C’est ainsi qu’apparaissent les visages, les corps de femmes, et la possibilité d’un répertoire infini d’images à déployer.
La galerie Eric Dupont.
- Adresse : 138 Rue du Temple, 75003 Paris
- Code postal : 75003
- Ville : Paris
- Pays : France
- Site Internet : http://www.eric-dupont.com