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Pascal Neveux interpelle la Ministre de la Culture Roselyne Bachelot

Nous relayons ici le texte de l’intervention de Pascal Neveux, Président du CIPAC-Fédération des professionnels de l’art contemporain – lors de la séance plénière du CNPAV (Centre national des professionnels des Arts Visuels), le 15 janvier 2021 en présence de la ministre de la Culture.

« Madame la Ministre de la Culture,

Nous avons vu ces derniers jours paraître un grand nombre d’articles et de reportages dans la presse quotidienne national et régionale consacrés aux pertes abyssales de fréquentation et de recettes de nos grandes institutions culturelles, parisiennes pour l’essentiel. C’est bien entendu une réelle catastrophe mais au-delà de ce constat comptable, cette appétence à relayer ce type d’information traduit un malaise bien plus profond, qui ne peut que nous interroger.

Ce florilège d’articles nous apparaît – à bon nombre d’acteurs culturels – tout a fait symptomatique et symbolique d’une conception et d’une compréhension du monde de la culture dont nous ne voulons plus aujourd’hui.

Si nous voulons sincèrement imaginer et construire un autre monde, celui de l’après COVID, il nous appartient de changer de logiciel et de paradigme pour ne plus évaluer notre monde de la culture à la seule lecture de statistiques et de chiffres qui érigent en vérité absolue des données de fréquentation et de recettes élaborées uniquement à partir de critères de rentabilité au détriment de critère de qualité.

Il nous appartient, et il vous appartient Madame la Ministre, d’accompagner cette mutation que nous souhaitons tous et de soutenir l’ensemble des acteurs de notre filière pour mettre en avant les valeurs que nous défendons avec passion, que sont les valeurs d’humanité, de solidarité, de vivre ensemble, d’accès à la culture, d’éducation artistique et culturelle, de liberté de création ; ces valeurs fondatrices de nos missions de service public que nous avons à cour d’incarner sur l’ensemble de nos territoires, dans nos activités au quotidien et qui, la plupart du temps, ne font l’objet d’aucune attention médiatique.

Je dois vous faire part, Madame la Ministre, d’un sentiment profond d’incompréhension, d’amertume et parfois même de colère. Alors que l’ensemble de notre filière ne demande qu’à être mobilisé et sollicité pour relever à vos cotés les nombreux défis auxquels nous devons aujourd’hui faire face, nous somme systématiquement passés sous silence. Pas un mot, pas une parole, à l’occasion des différentes allocutions et prise de paroles du gouvernement à destination de notre secteur, des artistes plasticiens, des professionnels qui sont particulièrement précarisés aujourd’hui. Votre silence nous est d’autant plus violent que nous savons l’engagement qui est le vôtre et nous ne demandons aujourd’hui pas autre chose que de vous aider et de participer à la concertation des acteurs culturels que vous avez initiée.

Notons que le Pass Culture passe également sous silence l’offre gratuite que représentent les galeries, les centres d’art et les Frac pour notre jeunesse.

La France de la culture, ce n’est pas que la France du Louvre, du Musée d’Orsay, de l’Opéra de Paris ou du festival d’Avignon, c’est aussi une constellation de lieux sur l’ensemble de notre territoire, qui participent depuis bientôt 40 ans et incarnent la décentralisation culturelle et une certaine exception culturelle française, qui est aujourd’hui bien malmenée et pourtant si essentielle pour nous tous et pour le devenir de notre société.

Nous avons besoin de vous, Madame la Ministre, nous avons besoin de vous à nos cotés dans nos lieux en région, aux cotés de nos partenaires et de nos élus, pour rappeler combien il est important pour toute société de soutenir, diffuser et promouvoir la création contemporaine sous ses multiples expressions et accompagner tous nos concitoyens dans ces rencontres prometteuses et riches de sens et de valeurs sociétales.

Nous avons besoin d’échanger avec vous, de vous entendre et de partager avec vous toutes les initiatives et hypothèses de relance que nous inventons au quotidien, et qui ne trouvent aucun écho aujourd’hui.

C’est toute une filière qui est à l’arrêt aujourd’hui, quelle que soit l’échelle de nos lieux, de nos territoires, de nos jauges respectives. Comme vous le savez il n’y a pas d’intermittence pour les artistes plasticiens, et l’arrêt de nos programmations et de nos expositions entraîne automatiquement l’absence de rémunération pour les artistes, mais aussi pour de nombreux professionnels et indépendants que sont les critiques d’art, les commissaires d’exposition, les régisseurs, les conservateurs restaurateurs, les médiateurs et bien d’autre encore. Les mesures d’urgence sont bien entendu plus que nécessaires et bienvenues, mais elles n’ont qu’un caractère d’urgence et sont bien en deçà des besoins réels du secteur comme vous le savez.

Ce qui nous importe aujourd’hui c’est de relancer une dynamique de filière collective et collégiale. C’est de pouvoir renouer avec une fréquentation des publics respectueuse des protocoles sanitaires en place. C’est bien un élan collectif dont nous avons besoin pour l’ensemble de notre secteur, afin de mobiliser toute notre filière et que chacun à son niveau et en fonction de ses moyens et de son territoire puisse inventer, expérimenter, imaginer des dispositifs favorisant les liens aux publics, aux artistes.

Nous avons tous vécu cette expérience insolite des fêtes de Noël où les espaces Culture des grands centre commerciaux connaissaient une fréquentation totalement débridée et parfois incontrôlée, alors que nos lieux restaient désespérément fermés.

Je pense avoir pris plus de risques en me rendant chez Cultura que si nous avions ouvert le Frac Picardie à Amiens aux visiteurs qui auraient pris soin de prendre rendez-vous au préalable pour visiter notre exposition dans le respect strict des consignes sanitaires en place durant cette période dite des fêtes.

Ce qui nous importe aujourd’hui Madame la Ministre, c’est d’être à vos cotés, ,d’être reconnus comme des professionnels responsables et soucieux de participer pleinement à l’effort de relance. Les outils sont en place mais il vous faut avant tout faire confiance et donner les moyens à notre écosystème de doter encore plus ses missions fondatrices et ses dispositifs de soutien, de résidences, de productions, de recherche et d’acquisition sur l’ensemble de notre territoire.

Nous avons besoin pour cela d’un minimum de visibilité sur le Plan de relance, sur les mesures d’urgence, mais aussi des perspectives budgétaires pour cette année 2021 dont on mesure bien toute la complexité sanitaire, économique et politique dans la perspectives des prochaines élections régionales. Avez-vous envisagé la mise en place d’une concertation pour notre secteur avec l’ensemble des collectivités ?

Nous ne pouvons plus rester sur notre approche binaire et nationale, entre ouverture ou fermeture, mais prendre en compte la spécificité de nos lieux. Fermer le Louvre, ce n’est pas la même chose que de fermer la Chapelle saint Jacques à Saint Gaudens, les FRAC et les centres d’art ne sont pas des musées. Tous les musées ne sont pas le Louvre, mais tous ont des publics qui ne demandent qu’à retrouver le chemin des lieux de création et de formation. C’est un enjeu de santé publique !

Vous aurez compris, Madame la Ministre, qu’il est aujourd’hui essentiel pour l’ensemble de notre filière, de vous rejoindre dans votre engagement dont nous mesurons bien toute la complexité. Vous pouvez compter sur nous, nous ne lâchons rien, mais brisons, je vous en prie, ce silence assourdissant !

Vous pouvez compter sur nous et nous voulons compter sur vous.

Merci Madame la Ministre.

Pascal Neveux

Président du CIPAC

Représentant de Platform au Conseil National des professionnels des Arts Visuels (CNPAV)

Directeur du FRAC Picardie