Le Prix Émile Guimet de littérature asiatique 2020 est décerné à Funérailles molles de Fang Fang (traduit par Brigitte Duzan, éditions L’Asiathèque).
Initié par le musée en 2017, le Prix Émile Guimet de littérature asiatique s’inscrit fidèlement dans l’esprit du projet du fondateur du musée, Émile Guimet (1836-1918), issu d’une famille d’industriels et philanthrope à l’esprit universel. Aussi le prix décerné cette année pour la quatrième fois, entend-il promouvoir l’altérité au miroir de l’universel. Au-delà d’une distinction littéraire accordée à une œuvre remarquable, le Prix Émile Guimet de littérature asiatique fait écho aux grandes questions du temps : liberté de conscience et d’expression, acceptation ou refus d’une identité et d’une histoire collectives, universalité ou, au contraire, exaltation des particularismes sont autant de prismes de la citoyenneté. Le Prix Émile Guimet vise à couronner l’œuvre qui traduit ces enjeux de la manière la plus audacieuse, tant par la construction que par l’écriture.
La présidence du jury de cette quatrième édition a été confiée à Aurélie Filippetti, ancienne ministre de la Culture et de la Communication ; autour d’elle, le jury est composé de l’écrivain et essayiste Pascal Bruckner, du délégué général du Syndicat de la Librairie Française Guillaume Husson, de la traductrice Mathilde Tamae-Bouhon et de Sophie Makariou, présidente du Musée national des arts asiatiques – Guimet.
Funérailles molles aborde un sujet toujours tabou en Chine, celui de la Réforme agraire de 1950. Fang Fang a magistralement construit son récit autour de l’histoire d’un traumatisme subi par une femme alors jeune qui en a perdu la mémoire. Entre une quête ménageant le suspense, et des souvenirs qui remontent au jour de la conscience de la victime, désormais une vielle femme, en dix-huit niveaux autant que dans l’enfer taoïste, le roman est un formidable exemple de l’immense talent narratif de Fang Fang, femme de lettres déjà très reconnue en Chine, à laquelle on doit une œuvre riche, entamée dans les années 1990. C’est aussi un retour sur l’histoire, à l’encontre de la légende dorée créée par le pouvoir chinois. Sous la plume de Fang Fang, personne n’est tout à fait bon ni tout à fait mauvais, ni les propriétaires terriens ni les paysans qui les conspuent et les maltraitent, parfois jusqu’à la mort. Et c’est bien là ce qui a fait réagir une partie du régime communiste chinois alors même que le livre était couronné d’un prix prestigieux ; l’autrice vit actuellement à Wuhan sous surveillance après avoir publié Wuhan, ville close. Journal (éditions Stock, la Cosmopolite, 2020). Fang Fang pose le problème de la mémoire, sur lequel elle conclut : contre l’oubli individuel, quand le souvenir est trop douloureux, il revient à l’écrivain, à nous tous d’ailleurs, de préserver à tout le moins l’histoire collective. Funérailles molles n’est actuellement plus proposé aux lecteurs que dans deux éditions: celle disponible à Taiwan et celle disponible en France. Ce livre a été retiré de la vente en Chine.