La Maison européenne de la photographie accueille l’artiste visuelle Amandine Kuhlmann, qui expose son alter ego hyperféminin né sur internet. À travers son installation vidéo Cash me Online, elle interroge les représentations de la féminité virtuelle sur les réseaux sociaux. L’œuvre est visible jusqu’au 18 mai 2025 au studio de la MEP.
/// Astrid Vialaron
Mukbang, trends tiktok, drama, survêtement Juicy Couture rose, filtres, phrasés de mèmes ; autant de d’éléments culturels repris et déclinés en masse sur internet qui sont dans cette installation mis en exergue. Amandine Kuhlmann avec Cash Me Online (2023), projet mêlant vidéo et performance, propose le spectacle d’une féminité construite et entretenue dans le monde digital.
Au studio de la MEP, sur trois écrans défilent des images de l’artiste, tout comme des vidéos trouvées en ligne sur lesquelles elle appose son visage grâce au procédé controversé (et profondément ancré dans une culture internet misogyne) du deepfake. D’autres photographies de l’artiste sont dans la salle ; elle pose en maillot de bain allongée dans une flaque d’eau face à une ring light, elle pleure en grimaçant dans une voiture, ou se contorsionne devant l’écran, et construit dans ces images une myriade de références internets. Une voix masculine accompagne les vidéos de l’installation, énonçant dans un anglais au fort accent américain, une série de règles à suivre pour devenir célèbre et « virale » sur Internet en un temps record. L’artiste suit scrupuleusement cette sorte de manuel de l’influenceuse parfaite, avec pour objectif de se bâtir une notoriété en l’espace d’un mois.
Entre son propre visage et celui des autres personnes sur lesquelles il est calqué, les identités s’accumulent, se fondent les unes dans les autres, et la féminité exacerbée devient un costume absurde, ou camp, selon les points de vue. En effet, Amandine Kuhlmann propose une esthétique mêlant ironie, grotesque, et attention au détail. Une emphase est mise sur des caractéristiques considérées communément comme superficielles, et méprisées pour cela, ce qui crée ce style léchée et presque indescriptible du camp.
L’essayiste, romancière et militante américaine Susan Sontag évoque cette théâtralité potentielle du genre, caractéristique du style que l’on qualifie de camp, que nous retrouvons dans les œuvres de Kuhlmann, exploitant ses connaissances en mode et beauté féminine pour parfaire son alter ego. Sontag écrit d’ailleurs dans son ouvrage Notes on camp en 1964, que le goût pour le camp est une affinité pour certains arts, tels que le vêtement ou le maquillage, qui mettent en valeur la texture et la sensualité au détriment du contenu. Aussi, le style camp n’a rien de naturel, il propose une vision humoristique et stylisée du monde, qu’on rapproche de la proposition artistique audacieuse de Kuhlmann quand elle se filme souriante et en maillot de bain par temps gris, aux abords de la Tour Eiffel, sous les regards rieurs et surpris des touristes.
Enfin, le camp selon Sontag est la métaphore de la vie comme un théâtre, de l’individu comme un personnage, cependant la vie contemporaine, est, elle, virtuelle et digitalisée ; Cash Me Online est alors un projet campy, qui prend acte de ces transformations sociétales, et prend du recul sur la superficialité des identités virtuelles, pour mieux les maîtriser. Amandine Kuhlmann investit avec une distance ironique les codes de la superficialité féminine contemporaine. Entre jeu et lucidité, son regard, résolument affûté, confère à sa pratique une densité rare, aboutissant à un projet à la fois maîtrisé et profondément signifiant.
Cash Me Online est à voir au studio de la MEP jusqu’au 18 mai 2025.
Maison européenne de la Photographie (MEP)
- Adresse : 5-7 rue de Fourcy
- Code postal : 75004
- Ville : Paris
- Pays : France
- Tel : 01 44 78 75 00
- Site Internet : www.mep-fr.org
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