Du 1er décembre au 27 janvier, la galerie Wallworks présente l’exposition Back to the Wood de Vincent Abadie Hafez alias Zepha, où deux séries d’œuvres exclusivement réalisées sur bois parviennent à figurer l’épaisseur du temps qui fuit en travaillant la matérialité de l’œuvre.
Back to the Wood : un intitulé qui nous évoque à la fois la pratique pluridisciplinaire de Zepha, né en 1977 et actif depuis la fin des années 1980, et le retour à Paris d’un artiste beaucoup exposé dans le reste du monde, mais assez peu dans la capitale, qu’il considère pourtant « un peu comme son quartier » (hood). Son esthétique, dont il puise les influences aussi bien dans les crews de Cergy des années 1980 que dans le graphisme et la calligraphie arabe, chinoise et japonaise, s’est déployée entre les voies ferrées désaffectées, les espaces publics les plus variés et les ateliers où il a développé une pratique artisanale diversifiée. Ici, c’est au bois qu’il choisit de se consacrer : sur des grands formats denses et colorés, il travaille à animer la matière en jouant avec ses nombreuses qualités.
Impossible de saisir d’un seul regard le dédale de ses compositions. Chacune nous incite à déchiffrer patiemment, à fouiller les incurvations et les méandres du bois assemblé manuellement ou sculpté à la machine à découpe. L’artiste révèle d’œuvre en œuvre la souplesse de ce matériau, qui prend sous sa main un aspect graphique et labyrinthique. On retrouve, dans les deux séries exposées, l’amour de la calligraphie qui traverse l’ensemble de son travail : ici, le passage du calame ou de la bombe au traitement du bois génère des œuvres mystérieuses et épaisses comme des palimpsestes immémoriaux. La lettre n’y est pas clairement perceptible : elle a seulement laissé des traces délicates, allant du trait affirmé et graphique à l’arabesque arabe dont on ne perçoit plus que le souvenir impalpable, qui anime l’ensemble et y ajoute une nouvelle couche de signification. Les panneaux de bois semblent ainsi receler, au cœur de leur multitude de superpositions, d’entailles et de traces de signes sculptés ou peints, une mémoire qu’on ne peut clairement discerner mais qui émane avec douceur de ces formes indéchiffrables.
Il faut donc du temps pour appréhender le travail de Zepha, pour se plonger dans la complexité des découpes du bois et tenter d’en saisir les cheminements. La matière est transcendée par un souffle qui circule à travers les œuvres, nous donnant l’impression qu’elles sont emportées sous nos yeux par la fuite du temps avant que nous ayons pu nous les approprier complètement. « Le temps prend tout. Tout prend du temps », explique l’artiste : ici, le temps semble effectivement prendre corps sur nos yeux. Les cercles sculptés dans le bois sont traversés par le passage de signes qui s’évaporent, emportés par la vitesse d’une temporalité contemporaine dans laquelle tout nous échappe et qui nous fait perdre le contact avec l’écrit comme avec la matière. Son univers nous invite à prendre le temps de les considérer dans leur entièreté, à la fois pour leur matérialité et leur qualité d’objets artisanaux précieux, et pour leur portée métaphysique qui nous entraîne vers un infini impalpable figuré par cette figure envoûtante du cercle ; autrement dit, selon un mot de Guillevic, elles nous offrent l’occasion trop rare de « perdre du temps à ne pas le perdre ».
Vernissage le jeudi 30 novembre de 19h à 22h
Texte : Alix Ricau
Crédit Visuel : Vincent Abadie Haphez, aka Zepha, Makémaké, 2017, technique mixte
sur bois, 94 x 120 x 6 cm, ©Galerie Wallworks