Christian Bérard : Au théâtre de la vie

Christian Bérard : Au théâtre de la vie

Sous le commissariat scientifique de Jean-Pierre Pastori, journaliste et écrivain auteur d’une, biographie de Christian Bérard et sous le commissariat général de William Saadé, conservateur en chef honoraire du patrimoine et conseiller artistique du Palais Lumière à Evian, Au Théâtre de la vie n’aurait pu être mieux choisi comme titre d’exposition pour évoquer cette figure emblématique de l’entre-deux-guerres que fut Christian Bérard, Bébé pour ses intimes : Jean Cocteau, Jean-Louis Barrault, Louis Jouvet, Christian Dior, Coco Chanel, Elsa Schiaparelli, les Noailles, les Polignac,… toute la « café society » d’un entre-deux-mondes que Bérard « prince sulfureux des nuits parisiennes, clochard céleste » selon les propres mots de son compagnon Boris Kochno, sut capter dans sa peinture, son sens du décor et de la mise en scène, du dessin de mode et de l’illustration mais aussi et dans sa manière d’être, animé d’une espèce de sprezzatura  qui fit de lui une figure du tout Paris.

 

/// Stéphane Gautier

 

Il faut dire que l’homme est au diapason de l’époque et bien souvent c’est lui qui donne le La. Prolifique, bouillonnant, pluriel, bercé d’une certaine mélancolie et parfois extravaguant, il s’évade dans les vapeurs de l’opium et s’étourdit dans les bals de la « bonne société », Bérard « l’arc en ciel qui déambule » selon les mots de son ami Louis Jouvet, exprimera son talent dans tous les arts.

 

Le joueur de flûte, non datée, huile sur toile collée sur contreplaqué, 250 x 193 cm, collection particulière, © Mirela Popa

 

Peintre, étudiant à l’académie Ranson sous la direction d’Édouard Vuillard et de Maurice Denis, il deviendra le portraitiste en vue de la société mondaine des années 1930, et sera associé par Wademar Georges au mouvement pictural du « néo-humanisme » qui s’oppose au cubisme pour interpréter les lignes courbes de la Renaissance.

 

Femme couchée sur fond de montagne, non daté, HST, 150 x 200 cm, 156 x 206 cm, collection Eric et Léonore Philippe, © Mirela Popa

 

Bérard sait capter dans ses portraits toutes les nuances de son modèle et au-delà, de son époque. Les portraits de l’artiste feront dire au critique d’art Paul Fiorens dans Formes en 1932 « L’œuvre de Bérard nous instruit plus exactement que toute autre des vices et des vertus, des craintes et des espérances d’une génération, d’une société, voire d’une élite. ».

 

Illustrateur et dessinateur de mode, c’est dès 1920 que le Paris littéraire, Julien Green, Colette, André Gide, Elsa Triolet et au premier titre René Crevel solliciteront sa sensibilité de lecteur et d’illustrateur. Dans ce monde tourbillonnant qui cultive le mélange des genres entre aristocratie, artistes, comédiens, décorateurs, le monde de la mode fera appel à lui, comme arbitre du bon goût pour des collaborations avec Vogue et Harper’s Bazaar, et en amitiés avec Christian Dior son ancien galeriste (il sera un ardent défenseur du News Look), Elsa Schiaparelli, ou Coco Chanel.

 

Projet pour Schiaparelli, Harper’s Baazar, Noël 1940, technique mixte, 27 x 27 cm, collection particulière, _autorisation Catherine Houard_© Mirela Popa

 

Mais ce sera pour le théâtre que Bérard sera le plus prolifique. Louis Jouvet (l’Ecole des femmes, La Folle de Chaillot, DomJuan), Jean-Louis Barrault (Amphitryon, Les Fourberies de Scapin, Cocteau (Renaud et Armide, La Voix humaine, La Machine infernale), feront appel à lui pour la création de décors de scène et de costumes. Dans des décors oniriques de baldaquins et de ruines, empreints de références au XVIIIe siècle.

 

La Machine infernale, Jean Cocteau, 1934, gouache, 62 x 49 cm, 84,8 x 65,5 cm, collection particulière, © Mirela Popa

 

« Dès le lever de rideau, l’enchantement commence à la première vision du décor conçu par Christian Bérard avec cette fantaisie subtile et ce sens harmonieux des couleurs et des formes caractéristiques de son art » écrira le chroniqueur de Vogue à propos de L’École des Femmes. Louis Jouvet comme metteur en scène Des Bonnes de Jean Genet décrit ainsi le décor crée en 1947 « Le décor a été élaboré, lentement par Christian Bérard, pendant des semaines, pour glaner avec l’aide d’un savant antiquaire, qui est Jacques Damiot, chacun des meubles singuliers, rares, extravagants (…). Il a versé la soie, la dentelle à profusion, (…), des lampadaires, des lustres, des appliques qui jettent des lumières des plus étranges et donnent enfin à l’œuvre de Genet, sa véritable atmosphère ». Pour le cinéma ce sera dans La Belle et la Bête de Cocteau en 1945, que l’on retrouvera son étrange et onirique poésie.

 

Logiquement, la grande décoration fera appel à lui en collaboration avec le décorateur Jean-Michel Frank pour des clients prestigieux, le couple Noailles, Marcel Rochas, l’Institut Guerlain sur les Champs-Elysées.  « Il apporte dans l’atelier de Frank son prestigieux génie de coloriste, son sens de l’arrangement, son goût efféminé, son romantisme morbide et sa perversité » Art et Décoration 1939.

Paravent de Mme Artaud, 1936, HST, cadre en bois doré de JM Frank, 105 x 212 cm, Galerie Alexandre Biaggi – Pruskin gallery, © Francis Amiand 2

 

Projet de décoration, non daté, aqurelle et lavis, 32 x 24,5,, collection particulière, _Autorisation Catherine Houard_ © Mirela Popa

 

Avec son exposition Au Théâtre de la vie, car c’est sur les planches au sommet de sa gloire, en pleine répétition des Fourberies de Scapin en 1949 que Bérard décédera, le Palais Lumière d’Evian rend hommage à cette éblouissante personnalité et son foisonnement créatif, et nous invite à découvrir ou redécouvrir l’homme et son œuvre.

 

 

 

« C’était un monstre merveilleux qui avait un cœur dans la tête et une cervelle à la place du cœur » : Charles Dullin

                                                                                                                                   

Visuel principal : Autoportrait, 1932, HST, 74 x 58 cm, Collection particulière, © Jean-Baptiste Hugo

 

Palais Lumière d’Evian