Dans les roues de Doisneau

Dans les roues de Doisneau

Au couvent Sainte-Cécile à Grenoble – lieu atypique accueillant le Fonds Glénat, l’exposition Les vélos de Doisneau se tient du 13 octobre 2022 au 21 janvier 2023 avec la collaboration de l’Atelier Robert Doisneau. Elle présente une vaste sélection de soixante-dix photographies, dont de nombreuses inédites afin de revenir sur l’œuvre exceptionnelle du talentueux photographe du XXe siècle, mais aussi retracer l’évolution de la pratique du vélo et plus généralement de la mobilité dans la société de l’époque.

/// Lolita Fragneau

« On lui aurait dit qu’il était un grand photographe, précieux et incontournable, qu’il aurait sans doute levé les yeux au ciel, et les épaules, avec une expression dubitative. Peut-être même que ces haussements auraient été accompagnés d’un “pfff…” qui aurait joliment exprimé la manière qu’il avait de ne pas se prendre au sérieux. Le talent n’est pas une affaire tonitruante. », voici comment Patrice Leconte – réalisateur et écrivain – décrit le célèbre Robert Doisneau (1912-1994), un photographe humble et modeste qui a marqué son époque.

Cycliste sur piste vers 1938, copyright Atelier Robert Doisneau

L’exposition commence au début des années 1910 avec la démocratisation de la bicyclette : la baisse de son coût permet aux classes populaires de s’emparer d’un appareil jusqu’alors réservé à la bourgeoisie, et il devient rapidement symbole du loisir et des départs en vacances. Robert Doisneau se plaît à photographier ces instants joyeux et insouciants : « Ce qui me plaît beaucoup, c’est de montrer le merveilleux dans la vie quotidienne. » Pendant la Seconde Guerre Mondiale, l’essence est réquisitionnée, ce qui augmente davantage la pratique du vélo. Doisneau, réformé en 1940 à cause de sa santé, se charge alors d’une mission : celle de représenter la vie quotidienne des personnes loin du front. Il explique que « c’était ma façon d’établir un constat de notre condition de vie », d’enregistrer à tout jamais sur une pellicule la difficulté de la guerre pour les travailleurs afin d’en garder le souvenir presque intact. Ses photographies illustrent ainsi les files d’attente interminables devant les boulangeries, les contrôles incessants d’identité, des systèmes D pour fabriquer de l’électricité.

Paris, le 8 mai 1945. © Atelier Robert Doisneau

Avec le développement de la bicyclette et la création du Tour de France en 1903 par le journal L’Auto, les cyclistes se multiplient eux aussi, et le vélo commence peu à peu à s’affirmer en tant que sport. Les clichés de Doisneau montrent que chaque parcelle de cette pratique l’intéresse, que ce soit l’entraînement ou la course, les petits clubs sportifs, la vitesse, ou encore les chutes… Rappelons aussi que le vélo est un moyen de locomotion obligatoire pour certains métiers populaires, tels que livreur, coursier, facteur, et Doisneau n’hésitait pas à les montrer pédalant au petit matin, sur les pavés encore glissants de pluie, de neige ou de boue, documentant fidèlement ces vies ordinaires. Robert Doisneau, en « ethnologue de son propre milieu » et de son temps (paroles citées de Robert Delpire, fondateur du Centre national de la photographie), se devait donc de photographier ces pratiques qui l’entouraient et se concentraient de plus en plus dans sa banlieue natale.

L’effervescence prendra fin au début des années 1960 en même temps que l’avènement de la voiture. Moins rapide, moins pratique, jugée dangereuse, la bicyclette est délaissée car passée de mode à côté des automobiles vues comme objet d’émancipation. Vladimir Vasak écrit que « sans le crier haut et fort tel un militant, il va dénoncer cette invasion des quatre roues et la pollution de ces « vaporisateurs à roulettes » pour reprendre son expression ». Alors qu’il participe à une mission de la DATAR (Délégation à l’aménagement du territoire) à partir de 1984, ses photographies sur la banlieue et les « villes nouvelles » montrent les vélos « écrasés par l’urbanisme », réduits à l’état de simples jouets pour enfants. Décédant en 1994, Doisneau ne sera pas témoin de l’évolution de moyens de transports subsidiaires, ni par la suite de la revalorisation du cyclisme dans la société moderne en contestation à la pollution engendrée par les automobiles.

Le vélo de Tati, Paris, 1949. © Atelier Robert Doisneau

Couvent Sainte-Cécile