Du 15 mars au 11 mai 2018, la galerie Eva Hober accueille la dernière exposition de Peter Klasen (1935-) intitulée Dialogue avec les maîtres, Kasimir Malevitch, Piet Mondrian, Kurt Schwitters.
A l’aube de ses 83 ans, la chevelure blanche de Peter Klasen contraste divinement avec l’œuvre d’une vie ponctuée de couleurs vives et d’images saturées. Cette pureté immaculée de l’âge confère à sa carrière une aura suprême comme pour mieux nous signifier l’impact qu’a eu son travail dans l’histoire de l’art contemporain. Car oui, si Peter Klasen est aujourd’hui un nom, c’est parce qu’il a participé au renouvellement de l’art.
Au tournant des années 1960, il quitte son Allemagne natale, fuyant les ruines du nazisme, pour adopter la vie parisienne. S’il est pétri de son histoire et de son apprentissage auprès de Will Grohmann, Hans Richter et Karl Schmidt-Rottluff, Peter Klasen choisit toutefois de s’orienter vers une démarche artistique nouvelle, à contre-courant de l’Expressionnisme ou du Pop-art, en se réappropriant l’image de son temps. C’est ainsi qu’en 1964, il participe à la mythique exposition Mythologies quotidiennes aux côtés des futurs grands noms de la Figuration narrative au musée d’art moderne de la ville de Paris.
S’il est bon de rappeler que la Figuration narrative ne s’est jamais proclamée comme un courant ou un mouvement artistique, l’œuvre de Peter Klasen en porte néanmoins les caractéristiques : superposition d’éléments métaphoriques ou actuels, dimension sociale et temporelle dans l’image fixe, impact visuel puissant, violence du rapprochement entre des références opposées, ou encore, mélanges des techniques (collages, aérographe, photos…).
L’exposition présentée actuellement à la galerie Eva Hober s’inscrit dans cette continuité de tableaux-objets narratifs, à ceci près que ceux-ci font références non pas à l’actualité bouillonnante de notre époque, mais à l’histoire de l’art contemporain du XXe siècle. Comme un regard mûr porté sur ses jeunes influences, Peter Klasen rend un hommage à Kasimir Malevitch, Piet Mondrian et Kurt Schwitters. Intitulée Dialogue avec les maîtres, l’exposition s’étire sur deux espaces, un premier, spacieux, accueillant de grandes toiles sur des murs immaculés, et un second au sous-sol, plus intime, agencé d’un mobilier années 1950 et d’une moquette duveteuse.
Chaque toile joue du trompe-l’œil en étant, là, enrichie d’objets manufacturés et de collages photographiques, et ici, dépourvue de tout ajout, simulant pourtant une accumulation d’outils, de morceaux de bois et d’engins divers. Ce faux-semblant de l’image dans l’image, et peut-être plus encore de l’image de l’image, matérialise la dimension conceptuelle de l’art comme pléonasme du monde, dimension pourtant nécessaire car agissant comme miroir.
En s’appropriant les codes de Kasimir Malevitch, Piet Mondrian et Kurt Schwitters, Peter Klasen retrace l’évolution de la subversion de l’image en art. Suprématisme, néoplasticisme et dadaïsme ont su déconstruire pour construire. En nous offrant un dialogue avec le passé, Peter Klasen ouvre surtout la voie de l’avenir : à l’ère où nous reconstruisons, remâchons les mêmes influences, n’osons sortir des sentiers battus, nous devrions peut-être songer simplement à déconstruire pour construire, comme Peter Klasen l’a fait à une époque marquée par les tensions internationales (guerres froide, d’Algérie, du Vietnam ; explosion de la société de consommation et des publicités…). A nous de puiser dans ce qui a été fait, non pas pour en prolonger la continuité, mais pour bâtir à nouveau, à l’image de Peter Klasen, qui, s’il a été influencé par ses maîtres, comme il les nomme dans son titre d’exposition, n’en a pas pour autant perpétué le travail, en osant s’émanciper, en osant oser.
Anne-Laure Peressin
Crédit visuel : Manomètre / Aération / Radioactif, 2017, Acrylique, Technique mixte sur toile, 146 x 114 cm, Signé, titré, daté au dos