À l’occasion de la diffusion prochaine de la série Samuel sur Arte, la Galerie du Cinéma accueille une exposition ainsi qu’une boutique éphémère consacrées au phénomène d’animation. Nous y avons rencontré Émilie Tronche, créatrice de Samuel.
/// Emma Boutier
Jeune artiste diplômée de l’École des Métiers du Cinéma et d’Animation (EMCA) à Angoulême, Émilie Tronche a été récompensée en 2021 de la Bourse Lagardère pour sa série Samuel, produite par Les Valseurs. Drôle et captivante, Samuel raconte le quotidien d’un jeune garçon de dix ans, son amour pour la Grande Julie, la jolie fille de sa classe qui fait de la danse, sa haine teintée de jalousie envers Dimitri, le premier de la classe qui court vite, et ses questionnements en tous genres. Avec légèreté et justesse, les 21 épisodes nous invitent à réexpérimenter la spontanéité d’une perception enfantine. Nous nous sommes entretenus avec Émilie Tronche à propos de son processus de création.
Qu’est-ce qui vous a conduit à exercer ce métier ? Quelle est votre formation ?
Après mon bac, j’ai fait une année de prépa aux Ateliers de Sèvres pour apprendre à dessiner. Ensuite, j’ai fait l’EMCA, une école de cinéma à Angoulême, qui a duré quatre ans et dont j’ai été diplômée en 2019.
À ce moment-là, j’aimais beaucoup écrire, plus que dessiner. Je dessinais davantage quand j’étais petite, mais j’ai arrêté au collège parce que c’était la mode des mangas… Et je n’arrivais pas à dessiner les mangas. À la fin du lycée, je ne savais pas vraiment vers quoi m’orienter. Puis j’ai découvert sur Internet les courts-métrages des étudiants des Gobelins, et j’ai voulu faire partie de cet univers.
Je fonctionne souvent comme ça : j’ai une idée, et si je sens que ça me plaît, j’y vais sans trop me poser de question. J’ai aussi la chance d’avoir eu des parents qui m’ont soutenue dans cette voie.
Qui est Samuel pour vous ? Un alter-ego ? Est-il inspiré de rencontres ?
Samuel, c’est un personnage qui me ressemble quand même beaucoup, puisqu’il est inspiré de mes souvenirs d’enfance. Toute la série se passe dans la ville où j’ai grandi, donc c’est un personnage dont je me sens assez proche. Une sorte de capsule temporelle, une petite fenêtre sur ma propre enfance. Donc il me fait du bien, il est assez rassurant. En tout cas, quand j’ai commencé à l’écrire, c’est parce qu’il m’inspirait une sorte de quiétude. Ça me faisait du bien.
Dans la série, il y a beaucoup de références aux années 2000. Souhaitiez-vous faire le portrait de l’enfance à cette époque précise, ou aspirez-vous à un propos plus universel ?
Plutôt quelque chose d’universel. Je ne voulais pas brandir les années 2000, ce n’était vraiment pas le but. Je voulais juste représenter l’enfance de la façon la plus basique possible. Forcément, la nostalgie fait que lorsqu’on repense à une période, on a tendance à édulcorer nos souvenirs, et ce n’est pas ce que je voulais faire. Je souhaitais montrer une enfance qui soit assez banale. En tout cas, qui corresponde à ma banalité. J’ai seulement placé des petites références pour faire des clins d’oeil aux personnes de ma génération. Intégrer MSN ou les feuilles Diddl, c’était un petit plaisir.
Vous avez dit « on est à mille lieues de la vérité d’un enfant de dix ans ». Si c’est le mystère qui vous intéresse, pourquoi avoir choisi l’enfance, par laquelle vous êtes forcément passée, plutôt qu’un autre âge de la vie que vous n’avez pas encore vécu ? Pourquoi est-ce si mystérieux pour vous l’enfance ?
Je voulais essayer de retrouver la façon dont pense un enfant, comment il bouge, sa façon de parler. J’ai quitté l’enfance, je ne serai plus jamais une enfant. Je me suis demandée comment retrouver cette sensation, qu’est-ce qu’il reste en moi de l’enfance, et comment l’utiliser pour faire un personnage. Je voulais retravailler le souvenir, qui, forcément, s’efface avec le temps.
C’est pour ça que je dis que je suis toujours à mille lieues de la vérité. Et en fait, ça me va. Je ne me dis pas qu’avec Samuel j’ai « percé le secret de l’enfance », parce que ce n’est pas un documentaire. Les enfants, quand on les voit vivre, ils sont tellement plein de surprises, ils sortent des trucs au quart de tour, c’est assez incroyable. Mon travail consiste à essayer d’approcher la vérité, sans jamais l’atteindre. Et ça me convient bien.
Dans la série, vous montrez bien la hiérarchie qui s’établit entre les élèves, sur la base de choses tout à fait anodines, comme le fait de savoir courir vite, par exemple. Avez-vous pensé vos personnages comme des archétypes qui en incarneraient les échelons ?
Peut-être au début, quand j’ai commencé à écrire l’histoire. On part toujours d’archétypes. Mais plus on avance dans la série, plus les angles s’arrondissent, et les personnages deviennent plus complexes que ça. Même Dimitri, qui est super chiant au début et qui se la pète, il finit par devenir ami avec Samuel, et on le découvre plus sensible. Bérénice, c’est pareil. C’est la peste de la classe, et finalement, on comprend qu’elle n’arrive pas à se faire d’amis, qu’elle est très colérique. C’était justement le fait de déconstruire les stéréotypes qui m’intéressait.
Même si votre série se veut assez légère, vous y incluez des thèmes sérieux, comme la dépression ou le deuil. Pourquoi était-il intéressant selon vous d’aborder ces sujets du point de vue d’un enfant ?
À hauteur d’enfant, c’est une autre façon de voir le problème. Il y a parfois des choses que l’on va désacraliser, mais aussi d’autres, que l’on pourrait penser un peu futiles, qui vont être vécues comme un bouleversement par un enfant. Ça permet de raconter différemment, et de questionner plutôt que de montrer.
À cet âge-là, on découvre tout. C’est l’âge où l’on commence à penser à la mort, au deuil. Tout ça, pour eux, c’est nouveau, donc c’est un moyen de se questionner là-dessus plutôt que d’apporter une réponse toute faite. J’aime bien justement l’idée de redécouvrir un sujet, que l’on connaît étant adulte, avec un oeil neuf.
Dans la série, on voit Samuel faire toutes ces petites choses intimes, qu’enfants, on pense être les seuls à faire. Chanter devant son miroir, s’inventer des scénarios et les jouer dans sa tête. Intégrer ces moments à la série, était-ce un moyen de créer du lien avec le spectateur ?
Pas forcément créer du lien, mais plutôt apporter une touche d’humour, pour faire rire le spectateur. Les moments où Samuel fait sa « drama queen », quand il danse seul, moi ça me faisait plaisir à dessiner, et ça nourrit le personnage.
En fait, parfois quand on crée, on ne réfléchit pas forcément à la façon dont ce sera perçu. Ça relève plus d’une intuition.
À la base, je ne pensais pas en faire une série. Ça partait vraiment d’un élan. Et j’essaie de conserver cette sincérité dans les autres épisodes. C’est une écriture assez lâchée.
Dans un épisode, les garçons et les filles se réunissent chez un ami de Samuel. Vous avez mis l’accent sur l’écart de comportement entre les garçons et les filles, qui sont beaucoup plus à l’aise. Ensuite, vous les faites se déguiser en le genre opposé. Était-ce une manière de questionner les rapports entre filles et garçons à cet âge-là ?
Oui, il y avait de ça. Je voulais questionner le fait de côtoyer le genre opposé. J’ai l’impression que c’est au collège que l’on commence à se mélanger, et donc à confronter nos différences.
J’aimais bien aussi le fait de montrer les filles assez à l’aise, un peu tyranniques, parce qu’elles se sentent supérieures par rapport aux autres garçons qui sont assez timides et perturbés par le fait qu’il y ait des filles dans la même pièce qu’eux. Parce que c’est tout nouveau. Ça me faisait marrer de les dépeindre comme ça.
Peut-on s’attendre à retrouver Samuel dans une saison 2, peut-être à une autre étape de sa vie ?
On réfléchit encore à la saison 2, on est au tout début. En tout cas, s’il y en a une, ça se passerait plutôt en classe de cinquième, dans la continuité. C’est ça qui m’intéresse, c’est de voir un personnage évoluer avec le temps. Vu que la série concerne le fait de grandir, ça me semble cohérent.
Retrouvez Samuel du 16 décembre au 13 janvier, tous les jours à 20h50 sur Arte !
Galerie du Cinéma
- Pays : France