Du 28 mars au 28 avril 2018, la Galerie Schwab Beaubourg expose les œuvres de l’artiste franco-chinois Gao Zengli.

Pourquoi vouloir à tout prix repasser son linge ? N’y a t-il pas une poésie dans le pli hasardeux du tissu ? Gao Zengli a échangé la traditionnelle toile tendue sur son châssis contre un support froissé. Des toiles de jute jaunies, abîmées, gondolées, à moitié déchirées accueillent sur leur surface plissée des portraits peints finement en noir et blanc qui donnent vie à des figures célèbres : Alberto Giacometti, Simone Veil, Marlon Brando ou encore Lucian Freud. Dès lors, le support a autant d’importance que la peinture, tant est si bien qu’on ne sait plus qui supporte l’autre. En effet l’artiste a mis au point une technique toute personnelle pour confectionner ses tableaux. Il fixe un treillis de cordes de lin sur un châssis en bois et colle par dessus une toile de jute, en y sculptant des plis et des ondulations. Toile de fortune donc, qui donne une allure de précarité à l’œuvre, à la fois œuvre d’art mais aussi œuvre de l’artisan.

Mais si le support semble avoir été bricolé avec les moyens du bord, affirmant ainsi sa matérialité et révélant sa structure, la peinture quant à elle, est lisse et tente de cacher son artificialité. Se produit alors une rencontre étonnante entre la pauvreté des matériaux, la noblesse de la représentation et de ses sujets : les grandes figures de la culture occidentale. C’est un peu comme si le néoclassicisme s’alliait avec l’art pauvre, profanant le sacré, sublimant le vulgaire. Mais n’y a t-il pas dans la rencontre, une problématique propre à Gao Zengli, qui a vécu la première partie de sa vie en Chine pour vivre la seconde en France ? Après avoir dépeint les figures de l’Asie dans des expositions précédentes, l’artiste, ici, s’attelle à représenter les acteurs, intellectuels et mythes propres à l’Europe.

Ces icônes historiques sont rappelées à leur fragilité : même les images prennent des rides et il est bon de se souvenir qu’elles vieillissent, pour ne pas rester figé devant leur beauté immobile. D’où l’importance du pli, qui défigure, assouplit, reconfigure et signe la marque d’un mouvement, car il est bien connu qu’une chemise non portée ne se chiffonne jamais. Gao Zengli nous invite donc à porter les images, à les utiliser, les plier, les déplier : accepter leur précarité pour mieux leur rendre leur plasticité.

L’éloge du pli est tel que l’artiste peint des drapés sur ses toiles de jutes fripés. Là où est les portraits n’ont pas de corps, les drapés n’ont pas de tête. L’habit ne fait pas le moine, dit le proverbe, et pourtant l’on reconnaît aisément les saints des tableaux du quattrocento ou la Vénus de Milo à la vue de leur étoffe. Le temps a oublié leurs visages mais s’est souvenu de ces formes chargées de lignes et de lumières, qui aujourd’hui peuvent être autonomes. Le regard a littéralement fait abstraction de l’histoire en chiffonnant les images. 

Texte : Elodie Réquillart

Crédit visuel : Simone Veil, Gao Zengli, Technique mixte, 120×120 cm, 2017