Harriet Backer : portrait d’une peintre innovante   

Harriet Backer : portrait d’une peintre innovante   

Avec cette première rétrospective consacrée à l’artiste norvégienne, le musée d’Orsay dresse le portrait d’une peintre oubliée en retraçant son évolution stylistique, façonnée au gré de son itinérance. « La musique des couleurs » traduit la volonté du musée de réinscrire l’oeuvre d’artistes méconnus à leur digne place dans l’histoire de l’art du XIXe siècle.

 

/// Emma Boutier

 

L’intimité d’une communauté de femmes

 

« Une femme doit avoir de l’argent et une chambre à soi si elle souhaite pouvoir écrire des histoires. » – Virginia Woolf, Une chambre à soi, 1929. 

 

Les intérieurs occupent une place prédominante dans l’oeuvre d’Harriet Backer, qui, à la différence de la majorité de ses contemporaines, jouissait du privilège de son indépendance.

À la fin du XIXe siècle, les écoles d’art norvégiennes sont encore fermées aux femmes, conduisant la jeune artiste, à l’aube de ses trente ans, jusqu’à Munich. Là-bas, Backer s’intègre à un réseau de femmes peintres, au sein duquel sa pratique évolue dans un climat d’entraide mêlant vies privée et professionnelle.

Sa chambre, qui est aussi son atelier, Harriet Backer la partage avec sa consoeur et amie Kitty Kielland. Cette union, qu’elle fût amoureuse ou non, leur permet de s’épanouir dans leurs carrières respectives en échappant à la contrainte du mariage. Cet espace de liberté, lui inspire de nombreuses compositions.

 

 

Harriet Backer, Mon atelier [Mitt atelier], 1918, Bergen, Kode Bergen Art Museum © Kode / Dag Fosse

 

Ses tableaux fournissent un rare aperçu d’un entre-soi féminin. Ils abritent les gestes quotidiens des femmes de son entourage, peu représentés dans la peinture du XIXe siècle, qui reste le fait des hommes.

À Paris, Harriet Backer admire les peintures impressionnistes. D’abord destinée au genre historique, c’est sous leur influence qu’elle redirige son chevalet dans la sphère privée. Pour autant, l’enseignement des Maîtres Anciens et son admiration des peintres Flamands du XVIIe siècle subsistent dans sa mémoire. Il y a sans doute un peu de Vermeer dans ces huis clos capturant des instants suspendus.

 

Harriet Backer, Femme cousant à la lueur de la lampe [Syende kvinne vedlampelys], 1890, Oslo, National museum. © National Museum / Børre Høstland

 

 

Les intérieurs : terrains d’innovations picturales

 

Pourtant, la peinture d’Harriet Backer est résolument moderne, et participe des innovations picturales ayant cours en cette fin de siècle. De plus en plus absorbée par des questions plastiques, incluant la couleur et la lumière, la narration se fait plus silencieuse dans ses tableaux. La figure, toujours présente, passe au second plan, devenant un élément décoratif de la pièce, qui à son tour est faite sujet.

Les intérieurs d’églises de la Norvégienne révèlent une habile synthèse entre modernité et tradition. Encore une fois, l’influence hollandaise y est sensible. Mais les plans intimistes des églises luthériennes de Backer contrastent avec les espaces écrasants de Pieter Jansz Saerendam. Alors que le maître nordique affirme sa virtuosité dans la maîtrise de la perspective et sa connaissance pointue de l’architecture, Backer rompt avec la stase et l’universalisme traditionnellement rattachés aux églises. Elle peint des bâtiments vétustes, s’intéressant aux effets de lumière qui les parcourent et traduisent le temps qui s’y écoule. Dans des représentations au cadrage serré, l’artiste projette sa vision de la foi, personnelle et introspective.

 

Harriet Backer, Intérieur de la stavkirke [Interiør fra Uvdal stavkirke], 1909, Bergen, Kode Bergen Art Museum © Kode / Dag Fosse

 

 

En suivant une évolution comparable à celle entreprise par Whistler dans son fameux Arrangement en gris et noir n°1, Backer voit dans ses intérieurs un terrain d’expérimentation d’enjeux proprement plastiques. L’éclairage devient ainsi l’une de ses préoccupations majeures : celui, naturel et faiblard, des derniers rayons du soleil qui traversent la fenêtre, ou celui, plus agressif, de la lumière d’une lampe projetée sur des murs colorés, la nuit tombée.

De même, la couleur est centrale. L’artiste inverse la relation entre moyen et sujet, de façon à ce que les objets et meubles deviennent des prétextes à la présence de couleurs dans le décor. L’étendue de la palette confère à ses oeuvres une dimension abstraite, qui, paradoxalement, passe par le figuratif.

 

Une esthétique de la synesthésie

 

Harriet Backer, Lavande [Lavendler], 1914, Bergen, Kode Bergen Art Museum. © Kode / Dag Fosse

 

 

Ainsi, le vase qui occupe le premier plan du tableau Lavande ne vaut que pour le bleu qu’il permet d’inclure à la composition. Ici, la couleur se voit également attribuer un rôle : comme indiqué par le titre, elle doit déclencher chez le spectateur cette senteur florale si particulière, suivant une logique synesthésique.

Ce n’est donc pas seulement une pièce qu’Harriet Backer souhaite représenter, mais son atmosphère. Ayant grandi avec une soeur pianiste, la musique a toujours accompagné son quotidien, et s’associe dans ses souvenirs à l’atmosphère de la maison. La peinture de l’instant doit donc associer le visuel et l’auditif.

Andante montre la persistance d’une note, sa vibration à travers la pièce du musée de Cluny, convertie en salle de concert. Le portrait de la pianiste est subordonné à la figuration de la musique, qui passer par l’harmonie des couleurs tamisées, et le regard absorbé de la musicienne, attentive à l’écho du son.

 

Harriet Backer, Andante, 1881, Stavanger, Stavanger Art, Museum. © Stavanger art museum / Dag Myrestrand / CC BY-S

 

 

Musée d’Orsay

  • Adresse : 1 rue de la Légion d'Honneur
  • Code postal : 75007
  • Ville : Paris
  • Pays : France
  • Tel : 01 40 49 48 14
  • Site Internet : www.musee-orsay.fr