Jacques Prévert, une vie 

Jacques Prévert, une vie 

L’exposition « Jacques Prévert. Rêveur d’images » se poursuit au musée de Montmartre. Ponctuée d’éléments autobiographiques, cette rétrospective rend hommage à l’artiste et à l’homme. Sa personnalité, son engagement politique et son sens de l’amitié y sont présentés comme les catalyseurs d’une oeuvre protéiforme.

 

/// Emma Boutier

 

 

Le parcours débute au premier étage du musée et se poursuit dans l’ancien atelier-appartement de Suzanne Valadon et Maurice Utrillo. Chronologique, il permet au visiteur de découvrir plusieurs aspects de l’artiste : l’on y rencontre Prévert le Parisien, Prévert le Communiste, Prévert l’ami des grands peintres d’avant-garde. S’il est resté célèbre surtout en tant que poète, cette rétrospective présente un Prévert multifacette, soulignant son importante contribution à l’art de son temps.

 

Le politique comme champ d’expression artistique

En retraçant son éducation catholique et son enfance passée dans le Paris populaire, le parcours tire les fils des convictions et engagements de Prévert, exprimés notamment au sein du Groupe Octobre dans les années 1920. C’est pour cette troupe de théâtre d’agit-prop qu’il commence à mettre ses écrits à contribution.

Son engagement politique demeure toute sa vie un moteur de création. À partir de 1948, suite à un grave accident, il se consacre pleinement au collage, sur les conseils de ses amis peintres. Armé d’un humour noir, il n’hésite pas à se moquer des personnages et des symboles intouchables dans des oeuvres où l’Eglise et l’Etat sont des cibles privilégiées. En plaçant un immense poulet Place de l’Étoile (La Cinquième ou Le Régime des Poulets, 1968) ou en détournant les bras en croix du Christ, il crée des situations absurdes qui disent avec force son mépris vis-à-vis d’un système jugé néfaste.

 

 

Jacques Prévert, Fête nautique , non daté © Fatras – Succession Jacques Prévert _ Adagp, Paris, 2024

 

Repenser le processus créatif

Dès les années 1930, Jacques Prévert est parfaitement intégré à la sphère artistique parisienne, sans toutefois chercher à briller en son propre nom. C’est par le biais de collaborations, dictées par ses affinités, qu’il contribue à sa richesse. Avec Marcel Carné, il donne naissance à des incontournables du cinéma français, tels que Le Quai des Brumes (1938) ou Les enfants du Paradis (1945). Les planches préparatoires exposées, témoins d’une importante liberté dans l’expression et d’un certain refus des conventions, mettent le visiteur face au processus créatif de Prévert. Dessins et mots côtoient les taches de café et les traces de mégots, ce qui nous invite à imaginer les artistes en pleine émulation, griffonnant frénétiquement et à l’envi les idées fusant à travers la pièce.

 

 

Jacques Prévert, Scénario illustré pour Les Enfants du paradis, film de Marcel Carné, 1943. © Fatras – Succession Jacques Prévert _ Adagp, Paris, 2024 © Archives privées

 

 

L’étroitesse des liens unissant Prévert aux peintres a donné lieu à de nombreuses oeuvres collaboratives. Aux côtés des Surréalistes et des Cubistes, Prévert contribue largement à la réinvention du livre d’art. Ensembles, ils annulent le rapport vertical qui régit de fait l’élaboration du livre illustré et subordonne la figuration au texte préexistant. Miró et Prévert créent leurs livres de concert, en expérimentant deux modes de création : le texte rédigé à partir du dessin et le dessin réalisé d’après le texte.

Ces productions révèlent l’importance consentie au dialogue entre les arts. En mettant l’accent sur cet aspect, l’exposition nous invite à penser Prévert comme un précurseur du postmodernisme, ou du moins, à percevoir dans son oeuvre une anticipation de ce courant. Avec Les chiens ont soif (1964), ouvrage réalisé avec Max Ernst, Prévert affirme de façon plus radicale encore le potentiel créatif de la rencontre entre deux formes d’expression. Il ne décrit pas les dessins d’Ernst, mais traduit l’impression qu’il en retient, par les mots.

 

L’amitié fertile

Si ces collaborations constituent un terrain d’expérimentation extrêmement enrichissant du point de vue artistique, c’est avant tout l’amitié qui motive les choix de Prévert. Sa créativité se trouve stimulée par l’admiration, le respect et l’affection qu’il éprouve pour ses compagnons peintres. Dans chaque section consacrée à une oeuvre collective se trouve une photographie montrant Prévert et l’artiste concerné, qui témoigne de relations allant au-delà de la sphère professionnelle.

 

 

Giacomo Pozzi-Bellini, Jacques Prévert avec son portrait peint par Picasso, © Droits réservés

 

 

Une salle entière est dédiée à sa proximité avec Picasso. La correspondance entre les deux hommes y est exposée, en regard des oeuvres qu’ils se sont réciproquement inspirés. Après la mort de Georges Braque, Prévert publie Varengeville (1968) comme un hommage. Dans ce recueil des marines de l’artiste, il décrit surtout un ami, « beau » comme ses tableaux.

L’exposition s’achève sur une reproduction de l’atelier-appartement de Prévert, situé au 6 bis Cité Véron. On y voit le bureau sur lequel il conçut ses « éphémérides », des dessins de fleurs sur lesquels il notait ses rendez-vous. Reporté face à la pièce, la première strophe du poème « Dans ma maison » se fait l’écho de son rapport aux autres, reflétant son désir d’être entouré et laissant deviner un émouvant sentiment de solitude :

 

« Dans ma maison vous viendrez / D’ailleurs ce n’est pas ma maison /Je ne sais pas à qui elle est / Je suis entré comme ça un jour / Il n’y avait personne /Seulement des piments rouges accrochés au mur blanc / Je suis resté longtemps dans cette maison / Personne n’est venu / Mais tous les jours et tous les jours / Je vous ai attendu », Jacques Prévert, « Dans ma maison », Paroles, 1946.

 

 

Daniel Czap, Jacques Prévert à son bureau de la Cité Véron, vers 1960. © Daniel Czap_Gamma Rapho.

 

 

Musée de Montmartre – Jardins de Renoir