La ville, la danse, la musique : et si ces formes devenaient les vecteurs d’un rapport au monde profondément extraordinaire ?
/// Astrid Vialaron
L’artiste contemporain Mark Leckey joue des symboles et des références de paysages culturels divers, et fait s’entrecroiser dans son œuvre une iconographie du Moyen-Âge, des éléments d’aménagement urbain, et de la culture britannique des années 1990, pour exposer une expérience contemporaine de l’extase.
Aux deux premiers étages de cette exposition, on accède à une immersion totale dans un univers sonore et visuel troublant et singulier. Les multiples œuvres s’activent et se désactivent au même instant, et mettent en branle une histoire complexe et sombre, celle d’une sortie hors de soi, d’un dépassement de l’expérience quotidienne de nos environnements. Cette dernière est introduite à la vue de panneaux lumineux, inspirés d’une campagne de prévention routière lancée en 2019, exposant un œil choqué, inquiet, pétrifié. Mais à quelle scène peut-il assister ? Est-ce un regard vers notre passé, vers notre futur ? Nous n’en savons rien, et ne pouvons que l’imaginer. Sur ces mêmes affiches, les slogans originaux sont remplacés par des phrases issues de poèmes ou de titres d’œuvres, tel que Everywhere Eyeballs are Aflame (Partout des prunelles flamboient), titre d’une estampe d’Odilon Redon réalisée pour illustrer La tentation de saint Antoine de Gustave Flaubert, un texte décrivant une série d’apparitions.
Tel un portail vers d’autres espaces, le panneau publicitaire JCdecaux devient un cadre vide, lui-même dessiné au crayon, c’est un trompe-l’œil qui fait signe vers le trouble de nos mémoires. Comme la gomme qui pourrait effacer ce dessin, la mémoire ne s’attardera pas sur le matériel urbain, et généralement l’oubli, ou plutôt ne le conscientise même pas, pourtant Leckey le considère comme objet esthétique propre, et renouvelle notre vision du monde. Les apparitions dans l’exposition, d’abord familières, révèlent peu à peu leur étrangeté à travers des choix audacieux de textures et d’épaisseurs. À l’image de ce brise-flame gonflable qui allège la lourdeur et adoucit la dureté.
Loin du grandiose et du sublime des cathédrales ou des statues, l’expérience de l’extase s’explore dans cette exposition à travers des formes contemporaines, aussi banales que sensorielles : la ville, la danse, la musique, les souterrains, les chantiers, la fête foraine. Le quotidien y est transfiguré, devient onirique, grâce à un travail subtil des médiums et de la scénographie.
Au dernier étage de l’exposition sont exposées des œuvres iconiques de l’artiste, parmi lesquelles Dream English Kid 1964-1999 AD, œuvre née d’un souvenir : celui du concert de Joy Division auquel avait assisté l’artiste, et dont il retrouve une captation sur YouTube. Pendant 23 minutes de vidéo se déploient alors des images comme des souvenirs, grâce à un assemblage d’archives internet ou d’images de synthèse, créant une autobiographie visuelle et sonore de l’artiste.
Est alors soulevée une problématique fondamentale de notre ère que l’on pourrait qualifier de « digitale » : celle de la plasticité de nos souvenirs. Lorsque le matériel et le virtuel se fondent l’un dans l’autre, que nous reste-t-il ?
L’exposition Mark Leckey, As Above So Below est à découvrir à Lafayettes Anticipations, jusqu’au 20 juillet 2025 (entrée libre et gratuite).

Lafayette Anticipations – Fondation d’entreprise Galeries Lafayette
- Adresse : 9 rue du Plâtre
- Code postal : 75004
- Ville : Paris
- Pays : France
- Site Internet : https://www.lafayetteanticipations.com/fr