Si la Révolution est à l’origine de la plupart de nos institutions et principes fondamentaux, le musée Carnavalet nous invite à prendre du recul sur cet héritage, afin de prévenir son assimilation aveugle. L’exposition « Paris 1793-1794. Une année révolutionnaire » reconstitue un tableau complexe de la période de la Terreur, par-delà les discours officiels.
/// Emma Boutier
La création de l’homme révolutionnaire
Sur un fond sonore de Marseillaise, le visiteur pénètre la salle du Manège, lieu de réunion de la Convention, au milieu de laquelle trône l’emblématique Marat assassiné de Jacques-Louis David. Chef d’oeuvre de l’histoire de l’art, ce tableau fut réalisé dans les semaines qui ont suivi l’homicide perpétré par Charlotte Corday, lui donnant une dimension documentaire.
Bien sûr, il n’en est rien. Lui-même député à la Convention, David représente un Marat héroïsé. La douceur de son visage et la dignité de sa posture contrastent vivement avec la barbarie de l’homicide. Le chiasme du corps baigné de lumière et baignant dans le sang révèle une pensée manichéenne, opposant le martyr à la meurtrière.
L’An II du calendrier révolutionnaire voit s’écrire un roman national, dont le personnage principal est l’homme révolutionnaire. Le portrait de Bertrand Barère de Vieuzac en est l’incarnation : appuyé sur son « Discours sur le jugement de Louis Capet », il est représenté en homme convaincu et fier, prêt à soutenir les regards désapprobateurs.
Quant à l’image de la femme révolutionnaire, son étude exige un regard averti. Si l’allégorie de la liberté peinte par Nanine construit l’image d’un gouvernement favorable aux droits des femmes, l’exposition apporte une contextualisation nécessaire. La réalisation du tableau a lieu à un moment où les clubs politiques sont restreints à la gente masculine.
L’exécution d’Olympe de Gouges, relatée dans le parcours, confirme plus radicalement encore le caractère exclusivement masculin de ces nouveaux droits.
Le réglage de la vie quotidienne
Cette année révolutionnaire est aussi créative. La Convention montagnarde fait montre d’une grande ingéniosité pour déguiser la Terreur : plusieurs fêtes sont ajoutées au calendrier républicain, afin d’assimiler le nouveau régime à des principes de liberté et d’entente. Les banquets sont promus comme des moments conviviaux, visant à adoucir le climat de peur et d’instabilité. Ils permettent d’enrober l’expérience révolutionnaire d’un peu de légèreté, en dessinant la promesse d’un quotidien agréable pour les « bons » citoyens.
Une Terreur inspirante ?
La sévérité du régime de la Convention remplit les prisons et fait travailler les bourreaux. La guillotine, emblème de la Terreur, fait l’objet d’une fascination morbide qui nourrit les imaginaires. Le Régime attribue aux exécutions une valeur d’exemplarité, en rendant les mises à mort publiques. La publicité engage une certaine spectacularisation du rituel sentencieux, contribuant à la création de fantasmes.
Ce mode de fonctionnement donne lieu à de nombreuses représentations de la peine capitale. Le tableau de Pierre-Antoine Demachy cristallise toutes les contradictions d’un gouvernement né du soulèvement contre l’injustice et l’oppression qui n’hésite pas à se saisir de ces mêmes contre-valeurs pour se maintenir.
L’exposition révèle sans concession toutes les ambivalences de cette période fondatrice, en brossant le portrait de ces Françaises et Français, passés de sujets à citoyens, et des mutations qui ont affecté leur quotidien.
Musée Carnavalet
- Adresse : 23 Rue de Sévigné
- Code postal : 75003
- Ville : Paris
- Pays : France
- Tel : 0144595858
- Site Internet : https://www.carnavalet.paris.fr/