La Galerie Mathgoth présente du 9 au 31 mars 2018, l’exposition Portraits qui regroupe les photographies Lee Jeffries.
Combien de fois avons-nous baissé les yeux face aux demandes d’une personne sans-abris ? Combien de fois avons-nous manqué d’apporter notre compassion ? Lee Jeffries nous pose ces questions au travers du regard de Franckie, un regard lumineux et sombre à la fois, au centre d’un visage surmonté d’un tissu noué retenant les cheveux, laissant percevoir tous les détails d’une peau marquée, ridée, par la dureté d’une vie. Au travers aussi de Maya, où des cheveux noirs détachés et en mouvement se mélangent avec le fond sombre de la photographie, où un œil en amande, scintillant, laisse entrevoir une mélancolie qu’un enfant de son âge ne devrait pas ressentir.
« Je photographie des individus issus de divers contextes sociaux et démographiques, toujours avec le même fil conducteur. J’ai besoin d’éprouver quelque chose bien avant de les photographier. Il m’arrive de marcher des heures dans les rues à la recherche de cette reconnaissance immédiate de l’émotion dans les yeux d’inconnus. Cela ne s’enseigne pas… c’est instinctif. » – explique l’artiste.
Eprouver quelque chose bien avant de les photographier… Des émotions pures, capturées par l’objectif mais surtout une démarche bien plus humaine qu’artistique, car Lee Jeffries cherche avant tout à instaurer un lien avec des personnes souvent marginalisées, oubliées par la société. Le photographe bouleverse la hiérarchie sociale en les plaçant au même niveau que l’observateur des clichés : un échange, qui n’aurait pas existé dans la vie de tous les jours, est crée entre deux individus. Le photographe nous oblige à prendre le temps de plonger notre regard dans le leur, alors qu’il est généralement facile de détourner son attention dans le contexte qu’est la rue. Un contexte qui est volontairement effacé au profit d’un arrière plan privé de tout élément, de tout passé qui nous donnerait des indications sur la condition individuelle de ces hommes et femmes. Une atmosphère mystique se dégage alors, amplifiée par des cadrages audacieux et des gros plans laissant le visage recouvrir pratiquement toute la surface des clichés, amenant une étrangeté à ces portraits.
Dans ces photographies qui décontextualisent les individus de leur vie quotidienne, un seul élément compte, le regard. Des traits, des expressions, des âges variés et pourtant, une même humanité se dégage de ces âmes magnifiées par le photographe. Tel un écran qui s’allume, la double dimension paraît prendre vie, les yeux semblent nous suivre au fil de nos mouvements. Un noir et blanc profond, contrasté nous plonge dans les détails de la peau, où notre vue heurte chaque ride, chaque cicatrice qui définissent les traits d’un visage empreint d’une vie qui l’a malmené. Un travail sur le clair-obscur où une auréole lumineuse se crée et entoure le visage des individus, transformés, le temps de la photographie, en personnages sanctifiés.
Lee Jeffries nous fait prendre le temps de contempler ces hommes, ces femmes, ces enfants qui pourraient être nos frères, nos mères, nos filles. Il nous confronte à des regards durs, qui laissent entrevoir des souffrances passées qui ont marquées les traits des individus. Mais lorsque l’espoir se glisse entre les lignes contrastées des détails, cette humanité brisée, malmenée par l’égocentrisme ambiant qui nous isole, est quelque peu restaurée.
Texte : Angèle Imbert
Crédit Visuel : Lee Jeffrie, Franckie, photographie