La Maison Européenne de la Photographie invite María Silvia Esteve à investir son Studio. La réalisatrice, scénariste et productrice argentine y propose une installation vidéo qui explore la manière de ressentir le traumatisme, pensée comme la genèse de son prochain long-métrage Mailin.
/// Emma Boutier
Cofondatrice et présidente du collectif audiovisuel féministe HANA Films, María Silvia Esteve s’intéresse aux récits de femmes, en questionnant leur rôle et leur posture dans une société patriarcale. Distinguée pour son premier film Silvia, abordant le thème des violences intra-familiales, son installation Cortex constitue le prélude à son nouveau long-métrage basé sur l’histoire de Mailin Gobbo, jeune fille abusée sexuellement durant quinze ans par le prêtre de son école, avec qui elle travaille depuis plusieurs années afin de documenter son processus de guérison.
Cortex est introduit par une voix, probablement celle de Mailin Gobbo, témoignant du sentiment de manque de soutien après un viol, lié au tabou qui régit le discours sur les violences sexistes et sexuelles et entrave leur dénonciation. Puis la voix s’évanouit, laissant place à une bande-son angoissante. Pour accéder à l’écran situé au milieu de la salle, il faut traverser des tentures blanches semi-opaques qui brouillent la vision, symboles des strates de l’inconscient qui atténuent le traumatisme sans l’effacer.
Une fois ces barrières franchies, l’on atteint la source du mal-être, la blessure incarnée par un point rouge localisé au milieu d’une forêt enchantée. Il grandit peu à peu, occupant l’espace, jusqu’au point où tout est englouti. C’est aussi l’agresseur qui viole l’intimité et détruit la stabilité du psychisme.
La forêt se veut une métaphore de l’intériorité, où s’installent les souffrances refoulées. La zone rouge contamine les capillarités des feuilles, s’immisçant plus profond de l’être qui ne s’appartient plus. Comme des radiations sismiques partant de l’épicentre, les cercles s’agrandissent et se décuplent pour tout conquérir, reproduisant la remontée du souvenir qui, une fois conscientisé, ne nous quitte plus jamais. La répétition du motif circulaire évoque la redondance des violences subies par les femmes victimes ainsi qu’une forme d’habituation à la douleur.
Le motif de la forêt est également associé, en histoire de l’art et en littérature, aux violences sexuelles. Lieu mystérieux et labyrinthique, il renvoie à la peur de la prédation. Dans la mythologie grecque, la forêt est habitée par les satyres, et c’est aussi le décor du rapt de Daphné, contrainte de se métamorphoser en laurier pour échapper au viol par Apollon. L’on pense également à la lecture de Bettelheim du conte du Petit Chaperon Rouge comme allégorie de la perte d’innocence et son interprétation du loup en prédateur sexuel.
Immergé dans le dispositif, le spectateur est mis face à l’affluence du traumatisme depuis les limbes du subconscient, et à sa matérialisation en des sentiments concrets. Il est amené ainsi à expérimenter métaphoriquement la mémoire de l’évènement traumatique.
Maison européenne de la Photographie (MEP)
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