Semaine de l’art contemporain à Paris : notre sélection d’expositions

Semaine de l’art contemporain à Paris : notre sélection d’expositions

Cette semaine, Paris réclame son titre de capitale culturelle, avec tout un écosystème de foires gravitant autour du noyau Art Basel. Les galeries absentes du Grand Palais participent, elles aussi, à cette effervescence, en proposant des expositions à visiter en plus petit comité. Voici notre sélection.

/// Emma Boutier

 

« MATERIA », Clavé Fine Art, 13 octobre – 23 novembre 2024. 

La Galerie Clavé Fine Art réunit quatre artistes dans une exposition sur la matière. Les œuvres de Jean Dubuffet, père de l’art brut, résonnent très harmonieusement avec celles de Claude de Soria, Claudine Drai et François Réau. L’accrochage se compose d’un ensemble d’œuvres métonymiques, dans lesquelles matière et concept ne font qu’un.

Une dialectique entre absence et présence

La centralité accordée à la matière place l’œuvre au cœur d’une tension entre présence et effacement de l’artiste. La Texturologie de Dubuffet donne une impression d’autosuffisance : la matière paraît presque vivante, comme si des moisissures se formaient sous nos yeux dans ce gros bloc de fromage en cours d’affinage. Dubuffet nous fait croire à une matière brute qu’il se serait contenté de placer sous nos yeux. C’est tout l’inverse : l’œuvre est une huile sur toile déguisée, résultat d’un travail pictural élaboré associant pointillisme, accumulation et grattage.

Jean Dubuffet, Texturologie XVIII (Fromagée), 20 mars 1958. Courtesy Clavé Fine Art.

De même, les œuvres en ciment de Claude de Soria caressent le ready-made, sans pour autant tomber dans cette catégorie. Si le hasard trouve sa place dans son processus créatif, les craquelures dans le ciment sont bien de la main de l’artiste.

Claude de Soria, Graphisme N°35 (Nervures), 1998. Courtesy Clavé Fine Art.
 
Détourner et défonctionnaliser

En étendant la matière au-delà de son rôle de substance de l’œuvre, les artistes procèdent à un détournement. François Réau aplanit le bronze dans ses « tableaux », le délivrant du devenir-sculpture qui lui est traditionnellement associé, pour l’investir d’une nouvelle fonction.

François Réau, Mesurer le temps, Gd I (Trésor, dans les profondes nuits, je te cherche en creusant), 2024. Courtesy Clavé Fine Art.

Claudine Drai, quant à elle, joue sur l’ambiguïté de son matériau de prédilection : le papier de soie. En le froissant comme un mouchoir usager, elle lui ôte la noblesse de sa fonction originelle d’envelopper des objets raffinés. Mais en s’approchant, ce ne sont plus des mouchoirs, mais une troupe de petites danseuses d’opéra ou une foule de derviches tourneurs que voit le spectateur. Le matériau est défonctionnalisé, rendu inutile : il est fait œuvre d’art.

Claudine Drai, Sans titre, 2014. Courtesy Clavé Fine Art.

« Dans une exposition de Guy Limone », Galerie Eric Dupont, 5 octobre – 10 novembre 2024. 

Tas d’images découpées, coupures de magazines collées au mur, scènes de figurines miniatures… La Galerie Eric Dupont est habitée par l’œuvre complet de Guy Limone, dispersé dans l’espace sans logique apparente. Cette exposition autoréflexive s’accompagne d’un court-métrage de Jean-Marc Gosse, qui renseigne le spectateur sur le processus créatif de l’artiste.

Guy Limone propose une représentation inédite des réalités sociétales contemporaine. Ses installations constituent une proposition alternative aux graphiques complexes des livres de sociologie. La brutalité des données qu’il matérialise contraste avec l’humilité des objets dont il se sert, ajoutant à son œuvre une pointe d’humour, parfois noir.

En entrant dans l’exposition, une immense tour jaune attire notre attention : il s’agit en fait d’un empilage de figurines minuscules, dont chacune est singulière. A la lecture du titre de l’œuvre, les souvenirs de jeux d’enfants s’évanouissent, pour laisser place à une froide réalité : « parmi la population totale de 68 373 433 Français, 10 946 527 personnes ont voté pour un candidat d’extrême droite au premier tour des élections législatives le 9 juin 2024 ».

Guy Limone, Foule toute en nuances du jaune avion mat au jaune citron mat, 2019. © Jean-François Rogeboz, Courtesy galerie Eric Dupont, Paris.

« Dominique Digeon, Série/Séries », Enseigne des Oudin. Jusqu’au 26 octobre 2024. 

Le fonds de dotation consacre une exposition personnelle à Dominique Digeon. Artiste prolixe, son œuvre s’articule autour de l’opposition entre réserve et accumulation, plein et vide, manque et complétude. C’est la dualité humaine que l’artiste explore dans la matière de l’œuvre, en trouant, tailladant, déchirant. Le corps se fond dans le support, traité comme de la peau : les papiers sont « pelés », avec une certaine violence.

Vue de l’exposition « Série/Séries, Dominique Digeon », 2024. Courtesy Enseigne des Oudin.

Mais la mutilation n’est pas gratuite chez Digeon. Elle s’inscrit dans le travail de recomposition des récits fixés, fil conducteur de son œuvre. Ses livres d’artistes sont découpés minutieusement par endroit, pour qu’en tournant les pages, le spectateur se retrouve face à une nouvelle trame. Sur des cartes postales de musées figurant des œuvres majeures, Digeon crée des vides et fait des ajouts. En défiant l’autorité des grands maîtres du passé, il libère l’œuvre de sa finitude, en lui permettant de renaître dans de nouveaux regards.

Dominique Digeon, Livre d’artiste. Courtesy Enseigne des Oudin.

Clavé Fine Art : 10b rue Roger, 75014, Paris.

Galerie Eric Dupont : 138 rue du Temple, 75003, Paris.

Enseigne des Oudin : 4 rue Martel, 75010, Paris.