Tamara Kostianovsky et la chair du monde

Tamara Kostianovsky et la chair du monde

Jusqu’au 3 novembre 2024, le Musée de la Chasse et de la Nature présente la première grande exposition en France de l’artiste Tamara Kostianovsky.   
 
 
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         /// Nora Djabbari 
 
 
 

Au Musée de la Chasse et de la Nature se sont échouées de curieuses carcasses colorées. Dès notre entrée, nous sommes accueillis par des souches d’arbres et des cadavres d’oiseaux. Aux côtés des peintures du XVIIIe siècle au style baroque et rococo, un nouveau ballet de sculptures grandeur nature. On pense aux natures mortes de Chardin ou à la brutalité des toiles de Goya. Ce sont des corps à vif, complètement éventrés, qui exposent leurs entrailles de tissus multicolores avec panache. Qu’elles soient suspendues du haut d’un crochet ou accrochées sur les murs de damas de velours prune, ces créatures exotiques donnent l’impression de vivre encore, irriguées par des veines faites de tissus bariolés et de fils délicatement entrelacés. La matière est texturée, les détails minutieusement travaillés. Mais derrière la flamboyance des couleurs, derrière la prouesse technique qui séduit, une profonde réflexion sur notre rapport au monde. L’artiste tisse en effet depuis des années une œuvre inspirée par des concepts philosophiques et humanistes.

 

 

Vue de l’exposition © Musée de la Chasse et de la nature
Vue de l’exposition © Musée de la Chasse et de la nature

 

 

 

Toutes ces créations ont été réalisées à partir de vêtements et autres textiles usagés. Faire de l’art à partir d’objets utilisés fait partie intégrante de la pratique de Tamara Kostianovsky. Née en 182882 à Jérusalem, elle grandit en Argentine et termine ses études en Beaux Arts aux Etats Unis. Se revendiquant comme une latinx, elle est sensible aux thématiques de l’immigration et de la colonisation. Son œuvre explore la fragilité de l’existence, les rapports entre la vie et la mort. “La chair du monde” fait référence à un concept du phénoménologue Merleau Ponty. Pour lui, la perception n’est pas seulement une affaire de sens et de cerveau mais elle est également ancrée dans le corps et son interaction avec l’environnement. Selon Merleau Ponty, avant de conceptualiser ou d’analyser le monde, nous l’appréhendons d’abord de manière sensorielle et pré-rationnelle à travers notre corps.

 

 

 

 

Vue de l’exposition © Musée de la Chasse et de la nature

 

 

 

Kostianovsky, en réutilisant des textiles ayant appartenu à des humains pour recréer des éléments naturels, matérialise cette idée en transformant les matériaux usés en objet d’étonnement, faisant de la mort une source de renaissance. “Il y a quelques années, lors d’une randonnée dans une forêt du nord de l’Etat de New-York, j’ai découvert un tronc d’arbre tombé au sol qui était entièrement recouvert d’une riche mousse verte qui transformait le tronc en un trône spectaculaire. (…) Depuis, j’ai fait des recherches sur les arbres morts et la manière dont ils peuvent devenir les hôtes d’une nouvelle vie, en exprimant souvent plus de vie lorsqu’ils sont morts que lorsqu’ils étaient vivants, en lien avec le concept de régénération et de renaissance qui est au cœur de cette exposition” explique l’artiste. 

 

 

 

 

Vue de l’exposition © Musée de la Chasse et de la nature

 

 

 

Notre parcours nous amène à découvrir des troncs où sont intégrés des pantalons ayant appartenu à son père, aujourd’hui décédé. L’exposition prend des allures autobiographiques. Sont évoqués des thèmes chers à l’artiste comme la nature et l’écologie, ses souvenirs d’enfance ou encore la violence de la dictature militaire en Argentine. Une œuvre universelle et conceptuelle qui nous touche par la simplicité avec laquelle son message s’énonce.

 
 

Musée de la Chasse et de la Nature