Thomas Demand : le simulacre du quotidien

Thomas Demand : le simulacre du quotidien

Du 14 février au 28 mai 2023, le Jeu de Paume accueille la première rétrospective française en l’honneur de l’artiste Thomas Demand (1964) intitulée Le bégaiement de l’histoire, revenant sur l’ensemble de son œuvre. Sa démarche artistique bien singulière consistant à produire des maquettes en papier ou carton à l’échelle réelle avant de les photographier puis de les détruire a suscité un grand intérêt, que ce soit dans ses représentations de scènes de la vie quotidienne ou dans d’autres plus historiques.

/// Lolita Fragneau

« J’imagine qu’au fond, il s’agit de transformer le monde en maquette, en le recréant et en le dépouillant de sa part anecdotique », déclare Thomas Demand. « Alors il devient allégorie, et le projet métaphore. Fabriquer des maquettes est une technique culturelle sans laquelle nous serions aveugles. » Ainsi, pour le photographe allemand, le « bégaiement de l’histoire » réside dans l’écart entre les images représentant le monde qui nous entoure, les maquettes de papier à échelle réelle au moyen desquelles il reconstitue les espaces montrés par ces images, les photographies qu’il prend de ces maquettes, puis leur destruction ultérieure.

Thomas Demand, Gangway, 2001, C-Print / Diasec, 225 x 180 cm

Dans la première partie de l’exposition, les photographies de grande dimension regroupées sous la catégorie des « histoires inquiétantes » représentent des scènes qui se sont déroulées dans les marges d’événements ou de moments historiques du XXe siècle : par exemple, la passerelle aéroportuaire empruntée par le pape Jean-Paul II lorsqu’il s’est rendu à Berlin après la réunification (Gangway, 2001) ; la salle de bain où l’on a retrouvé, en 1987, le corps du ministre-président d’un Land allemand décédé dans des circonstances suspectes (Bathroom, 1997) ; ou encore le bureau de vote où furent recomptés les bulletins lors de l’élection présidentielle américaine de 2000 (Poll, 2001).

Pour la série Dailies, l’artiste s’est mis à fabriquer des maquettes en papier recréant des photographies prises avec son iPhone lors de promenades dans son quartier ou pendant ses voyages. Ces œuvres de taille réduite, imprimées avec le procédé Diasec bientôt voué à disparaître, sont encadrées comme des photographies traditionnelles et représentent des moments ordinaires : gobelets en plastique plantés dans une clôture grillagée, ou pot de glace au yaourt accompagné de sa cuillère en plastique rose…

Thomas Demand, Daily #22, 2014, Framed dye transfer print, 62,9 x 49,5 cm

Dans une autre section, les photographies de maquettes préparatoires de papier réalisées par des architectes et des grands couturiers sont mises en avant pour montrer son goût prononcé pour le papier, et à quel point sa pensée s’oriente en toute occasion autour de ce médium. Sa fascination pour les formes architectoniques transparaît dans les Model Studies, mais aussi dans les papiers peints de sa propre conception qu’il utilise pour doter sa pratique de la photographie d’une dimension spatiale et créer un environnement immersif, fondé sur la collision du monde et des images.

L’exposition présente également une vidéo réalisée par l’artiste nommée Pacific Sun (2012), un court film animé que l’on peut voir au premier étage. Il a reconstitué un navire de croisière, le Pacific Sun, au moment où il était battu par les gigantesques vagues d’une tempête tropicale. L’artiste, qui a effacé l’équipage et les passagers, a passé des mois à reproduire le va-et-vient désordonné des tables, des chaises, des meubles de rangement, des assiettes en papier, des écrans d’ordinateur et d’une plante. Le comble de l’absurde réside dans le fait que Demand se soit assigné la tâche fastidieuse de recréer quelques instants de pur chaos, au cours desquels la nature a triomphé de l’ingénierie artificielle du bateau.

Chaque composition de l’artiste allemand fait preuve d’une patience et d’une minutie inégalée, qui force l’admiration du visiteur par ce souci du détail, son intérêt des lignes architecturales et le jeu impressionnant fait sur la lumière à chaque occasion. Les œuvres apparaissent à la manière de natures mortes qui redonnent vie aux objets ordinaires, tout en créant l’interpellation et le questionnement. Dans ces simulacres du quotidien : rien n’est laissé au hasard, rien n’est superflu.  

Thomas Demand, Atelier, 2014, C-Print / Diasec, 240 x 341 cm

Jeu de Paume Paris

  • Adresse : 1 Pl. de la Concorde
  • Code postal : 75008
  • Ville : Paris
  • Pays : France
  • Tel : 0147031250
  • Site Internet : jeudepaume.org