Ultime chapitre d’un travail de recherche en trois actes sur l’histoire de la misogynie, Le Bal accueille l’exposition On mass hysteria, synthèse de l’enquête menée par Laia Abril sur le phénomène d’ « hystérie collective » et transposée en oeuvres d’art.
/// Emma Boutier
Dans la continuité de ses travaux précédents On Abortion et On Rape, cette exposition présente le dernier volet d’une saga qui étudie, selon une perspective féministe, des phénomènes directement liés à la domination systémique des femmes, afin de les analyser en dehors d’un récit historique biaisé.
La trilogie Une histoire de la misogynie vise à repenser ces problématiques sous un angle historiographique. Il ne s’agit ni d’un manifeste à charge, ni d’un pamphlet, mais bien d’une enquête. Journaliste de formation et chercheuse, Laia Abril s’impose une rigueur scientifique en accord avec la nature de son travail. C’est seulement dans un second temps qu’elle transmet ses recherches au moyen de l’art.
Sans prétendre aboutir à une résolution univoque, Laia Abril présente un état de l’art à propos de ce que l’on a désigné comme « hystérie collective ». Ce phénomène fait référence à des situations au cours desquelles plusieurs femmes ont simultanément manifesté des symptômes sans qu’une cause biologique puisse être identifiée. Des documents descriptifs, des discours analytiques ainsi que des témoignages des victimes nourrissent son enquête. En regard des oeuvres constituées à partir de sources primaires, les cartels transposent des passages de sa recherche, menée aux côtés d’anthropologues, sociologues et médecins.
L’accrochage entend restituer l’étendue, chronologique et géographique, des cas de maladies psychogènes de masse. Disposés le long des murs entourant l’espace d’exposition, des dossiers d’archive situent l’origine du phénomène au Moyen-Âge, et témoignent de sa persistance à l’époque contemporaine, dans toutes les régions du monde.
Laia Abril a sélectionné trois cas significatifs, survenus dans les années 2000. La scénographie permet une immersion au coeur de chaque évènement, présenté séparément dans des espaces mi-clos. Y sont relatés des épisodes d’épidémie de paralysie des jambes dans un pensionnat catholique au Mexique, d’évanouissements simultanés dans des usines de confection au Cambodge, et enfin, de convulsions généralisées dans un lycée américain.
Les faits sont retranscrits par des assemblages de photographies rétroéclairées et par les témoignages sonores de victimes décrivant leurs symptômes. Si le choix des images semble formuler une critique implicite de l’appréhension du problème par l’institution concernée, aucun commentaire n’accompagne la parole des femmes. La neutralité du chercheur s’allie à la manière dont l’art peut articuler un point de vue politique. En sortant de la salle, le spectateur est mis face à la violence du traitement médiatique de ces évènements, représentée par des citations en lettres capitales rouges apposées sur des photos de femmes hospitalisées.
La réunion de ces trois études de cas fait apparaître un facteur commun : les situations de ce genre se produisent essentiellement dans des microcosmes coercitifs, régis par une organisation hiérarchique maintenue par l’intimidation et la force.
Afin de mettre en perspective les discours institutionnels, l’artiste catalane prend appui sur une thèse visant à requalifier l’ « hystérie collective » en un langage de résistance face à un système oppressif. Ainsi, elle conclut le parcours de l’exposition par un court-métrage, réalisé à partir de captations de manifestations féministes dans le monde entier.
Laia Abril nous invite à prendre du recul par rapport à la manière dont ce phénomène méconnu a pu être appréhendé par l’histoire. En nous sensibilisant au contexte patriarcal et sexiste qui a façonné sa perception, elle souhaite révéler le caractère essentialiste d’un discours qui identifie la « nature féminine » comme la cause de troubles liés à un contexte d’oppression systémique.
Le BAL, lieu dédié à l’image document
- Adresse : 6 impasse de la Défense
- Code postal : 75018
- Ville : Paris
- Pays : France
- Site Internet : www.le-bal.fr