Du 4 au 31 janvier, la galerie Boa présente avec l’exposition Plan séquence les peintures de l’artiste Anastassia Bordeau.
Anastassia Bordeau aime la nuit, l’atmosphère singulière du crépuscule, moment d’hésitation et des questionnements. Souvent identifiée à l’insécurité, aux démons, la nuit représente la peur. Les poètes romantiques ont magnifié sa force onirique. Anastassia Bordeau, elle, interprète la solitude de cet instant transitoire. Un passage s’ouvre entre deux mondes, permettant la résurgence d’un passé lointain, qu’elle interroge et confronte à une réalité sans fards. Son inspiration ? Le cinéma, incontournable de la vie nocturne.
La peintre russe a d’abord étudié à Moscou, puis en Belgique et en France, où elle vit désormais. Née en 1979, enfant de la modernité, son travail n’est pas un simple constat de l’omniprésence de celle-ci. Consciente que tout progrès renferme une dimension de regret, elle choisit de convoquer le cinéma comme outil de mémoire, « espaces intimes de rêves et de mémoires, par lesquels s’exprime, sans illusion, un besoin de récit, de romance, ou d’histoire », ainsi que le formule justement Jean-Michel Blanquet.
Le titre de l’exposition Plan séquence est le nom d’une technique cinématographique : séquence composée d’un seul et unique plan, restitué tel qu’il a été filmé, sans aucun montage, plan de coupe, fondu, champ ou contrechamp. Grâce à cette technique, l’immersion du spectateur est totale, le rendu de la scène plus réaliste. Quelle justesse dans ce titre, puisque nous, spectateur, sommes immergés à notre tour dans ces salles de cinémas sombres aux fauteuils rouges, ou dans des cinémas de plein-air. Anastassia Bordeau nous emmène avec elle contempler des chefs d’œuvre du cinéma français, projetés sur des écrans virtuels. Les titres de ces toiles sont évocateurs et poétiques. À l’instar de la peinture Les étoiles ne s’éteignent jamais, représentant les acteurs Marlène Dietrich et Clive Brooks ressortant d’un ciel rougeoyant, qui n’est pas sans rappeler que Shanghai Express est aussi un film sur la Chine, alors ravagée par la guerre civile. Appel vers le passé révèle la belle Jeanne Moreau dans Ascenseur pour l’échafaud, et le titre de l’œuvre suggère les réflexions de l’artiste sur la notion de temporalité.
Comment ne pas penser à Saint-Augustin ? « Qu’est-ce que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais, si on me le demande, et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus ». Nous non plus. Nous sommes perdus entre le présent et le passé, les rêves et la mémoire, mais cet égarement au sein du 7e art est réjouissant.
Texte : Alix Meynadier
Crédit visuel : Anastassia Bordeau, Les étoiles ne s’éteignent jamais ©Galerie Boa