Assemblage de bandes de papier journal découpées puis imbriquées les unes aux autres, Tissage de l’artiste francaise Irène Rodrigues (1964-) est une composition aussi atemporelle que fragile ; une oeuvre poétique que nous avons choisi d’honorer à l’occasion du 71e Salon des Réalités Nouvelles qui se tient du 15 au 22 octobre au parc Floral de Paris.
« Je travaille à partir de l’existant. Ici, c’est le papier journal que je collecte, manipule, transforme et qui, de ce fait, change de statut […] », confie la plasticienne. Assemblés et emboîtés les uns aux autres, ces lambeaux de papier donnent naissance à des modules en forme de losanges, que l’artiste fusionne pour créer, tisser, une étendue au sol. Entre ses mains, la « matière-papier » devient matériau, au coeur d’un processus créatif et plastique sensible et singulier. Au premier regard en effet, cet assemblage au sol – point de colle ni attaches dans le travail d’Irène Rodrigues – évoque un banc de poissons se déplacant à l’unisson. A l’instar de ces êtres mouvants, les feuilles de papier journal font masse, instigant la matière dans un mouvement ondulatoire et fusionnel. De l’aveu même de l’artiste, la ligne en tant que trait constitutif d’une figure, revêt un caractère central : « graphique, picturale et sculpturale », elle est le fil rouge de l’oeuvre, celui qui bâtit les surfaces, les formes et les volumes. Une ligne répétée à l’infini, tel un étroit brodage des divers éléments – la matière et l’espace, les vides et les pleins. Une facon toute singulière pour Irène Rodrigues de rendre compte de sa vision du monde et de l’espace environnant.
Transformé, déconstruis et reconstruis, le papier journal incarne dans Tissage une réalité plastique nouvelle, porteuse de sens, qui n’est pas sans interpeler le spectateur. Car quoi de plus symbolique que son utilisation à des fins purement esthétiques ? Loin de « l’aspect industriel, sans valeur, fragile et éphémère » dudit papier, Irène Rodigues l’inscrit au contraire dans une démarche artistique synonyme de durée et de recommencement perpétuel. Le papier journal, bien plus qu’un support d’expression – à la fois témoin et acteur de la société d’abondance qui est la nôtre –, se gorge ici d’une aura immatérielle qui enveloppe l’oeuvre toute entière. Au statut fonctionnel du papier journal se substitue le Beau, questionnant en chacun d’entre nous le rapport particulier que nous entretenons avec la matière, vivante, dont procèdent ces feuillets. Et si la poésie et l’intimité, difficilement substituables, qui se dégagent de Tissage se trouvaient là…
« Je travaille à défaire cette structure [celle de la fibre du papier] pour mettre au jour de nouvelles réalités plastiques. », dit Irène Rodrigues. Un pari réussi avec Tissage, où la page devient oeuvre d’art ; où l’éphèmère n’est plus ; où la poésie s’empare de l’ordinaire.
Prix remis par Anne-Laure Peressin, rédactrice en chef du magazine.
Texte : Léa Houtteville
Crédit visuel : Irène Rodrigues, Tissage, 2014, Papier journal découpé et assemblé au sol, 140×220. Reproduction photo ©Officiel des Galeries et Musées