Du 10 juin au 20 novembre, la Fondation Pierre Gianadda, à Martigny (Suisse), présente le travail photographique d’Henri Cartier-Bresson sous le signe de sa double amitié avec l’artiste Sam Szafran et le collectionneur Léonard Gianadda.
/// Camille Noé Marcoux – Historien et Historien de l’art, ministère de la Culture
« De tous les moyens d’expression, écrivait Cartier-Bresson, la photographie est le seul qui fixe un instant précis. Nous jouons avec des choses qui disparaissent, et, quand elles ont disparu, il est impossible de les faire revivre. »
Le 20 février 2020, peu après la disparition du peintre et dessinateur Sam Szafran, son épouse Lilette Szafran décide d’offrir à la Fondation Pierre Gianadda la dernière photographie d’Henri Cartier-Bresson que le couple, dans l’escalier de leur maison, conservait encore précieusement : Bruxelles (1932). A elle seule, cette photographie, aujourd’hui iconique de Cartier-Bresson, est « symbolique de l’amitié » tissée au fil des décennies entre les couples formés par Henri Cartier-Bresson et Martine Franck, Sam Szafran et Lilette Szafran, et Léonard et Annette Gianadda.
Pour titrer les fils de cette amitié, les quatre commissaires de l’exposition ont choisi de revenir à ses origines, c’est-à-dire le 16 mai 1972, jour du vernissage de 60/72 Douze ans d’art contemporain en France, au Grand Palais. Ce jour-là, Henri Cartier-Bresson prend une photographie, non de l’exposition officielle à l’intérieure du Grand Palais, mais sur le parvis où des artistes non sélectionnés pour l’événement, manifestent en exposant eux-mêmes leurs œuvres, dehors et à même le sol, avant de se faire refouler par la police. C’est là qu’Henri Cartier-Bresson, alors âgé de 68 ans, fait la connaissance de Sam Szafran, artiste talentueux de 38 ans qui faisait partie des manifestants. La photographie de Cartier-Bresson, qui ouvre le parcours de l’exposition à la Fondation Pierre Gianadda, illustre cette rencontre et cette amitié de 35 ans, entretenue par les deux artistes jusqu’à la mort de Cartier-Bresson en 2004.
Tout au long de cette amitié artistique, Henri Cartier-Bresson offrira au total 226 tirages de ses photographies à Sam Szafran, dont 154 comportant une dédicace personnelle, comme sur la photographie de Leonor Fini plongée dans l’eau (1933) dédicacée « à Sam et Lilette avec tous les délices d’une amitié partagée, Henri ».
En 1989, à l’occasion de son exposition à la Fondation Pierre Gianadda, Cartier-Bresson faisait la connaissance, avec son épouse Martine Franck, de Léonard et d’Annette Gianadda. Dix ans plus tard, en 1999, Léonard Gianadda organisa la première rétrospective de Sam Szafran, avec lequel il s’était lié d’amitié cinq ans plus tôt.
Au retour des obsèques de son ami Cartier-Bresson, le 3 août 2004, Sam Szafran avait décidé de confier sa collection de photographies à Léonard Gianadda, « troisième pilier de leur amitié partagée », selon les mots du commissaire Jean-Henry Papilloud.
« Je n’ai aucun message à délivrer, écrivait Cartier-Bresson, rien à prouver. Voir et sentir, et c’est l’œil surpris qui décide. »
Parmi ces « photos données par amitié », seulement une sélection est présentée dans cette exposition, fruit de la collaboration entre les commissaires d’exposition de la Fondation Pierre Gianadda et ceux de la Fondation Henri Cartier-Bresson, « afin que le public puisse rentrer dans cette amitié sans se lasser ». On y retrouve des photographies célèbres de Cartier-Bresson, comme par exemple L’Araignée d’amour (Mexico, 1934) ou bien Derrière la gare Saint-Lazare (Paris, 1932). Mais également toute une série de photographies que l’éditeur Pierre Braun avait demandé à Cartier-Bresson de faire, en 1944, chez divers artistes et écrivains. Cette série est alors, pour Cartier-Bresson, « l’occasion de rencontrer des figures de la peinture et de la littérature, ses deux passions », explique le commissaire Pierre Leyrat. Ces photographies ne seront finalement pas publiées par Braun, alors qu’aujourd’hui elles sont devenues des portraits emblématiques de Pierre Bonnard, d’Henri Matisse, de Rouault ou encore de Giacometti !
« Faire un portrait est pour moi la chose la plus difficile. C’est très difficile. C’est un point d’interrogation posé sur quelqu’un. »
Dans « cette exposition qui a de spécial l’amitié », comme le souligne François Hébel, directeur de la Fondation Henri Cartier-Bresson, « la dédicace est aussi importante que la photographie, les légendes personnelles dédiée à Szafran font partie intégrante des œuvres de Cartier-Bresson ».
Pour inviter le visiteur à découvrir cette « amitié intense » entre Cartier-Bresson et Sam Szafran, quoi de plus beau alors, pour l’illustration de l’affiche d’exposition, que la 226e et dernière photographie offerte en 2020, Buxelles (1934) ? Cette photographie par laquelle Cartier-Bresson a surpris ces deux voyeurs dont parlait si bien, en 1989, le peintre et sculpteur Eduardo Arroyo : « L’homme à la casquette regarde la réalité par un trou. L’autre regarde la caméra. Nous, en regardant la photo, devenons voyeurs à notre tour. Que nous le voulions ou pas nous devenons partie de la photographie. Nous sommes tous dans la photo ! »
A noter : l’exposition est accompagnée d’un beau catalogue retraçant l’histoire de l’amitié entre les deux artistes et Léonard Gianadda, reproduisant les photographies sélectionnées pour l’exposition, et, à la fin, sous forme de vignettes, l’ensemble des 226 photographies de la donation Szafran.
Visuel de couverture : Henri Cartier-Bresson, Hyères, France, 1932, © Fondation Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos – Collection Szafran, Fondation Pierre Gianadda
Fondation Pierre Gianadda
- Adresse : 59 rue du Forum
- Code postal : 1920
- Ville : Martigny (Suisse)
- Pays : Suisse
- Tel : 0041 27 722 39 78
- Site Internet : www.gianadda.ch