/// Nora Djabbari
Sur le sol, entre ces débris de cartons colorés, ces verres remplis d’eau jaunie ou rosie disposés çà et là, entre ces croûtes de papier et ce chalumeau qu’une flamme avait autrefois allumé, on se demande où on va bien pouvoir poser les pieds. Car oui, l’espace est saturé, étouffant, presque bruyant sans qu’aucun son ne vienne troubler le silence. Ca pue la vie et l’énergie. Nous voilà dans la “fabuloserie” de Lyzane Potvin, cette québécoise au caractère bien trempé qui nous montre dans son documentaire des vues de son atelier. Elle nous ouvre son univers mental. Ici les toiles sont écorchées, déchirées, brûlées : une habitude qu’elle a quelque peu tempérée depuis sa dernière exposition au 3 Rue Visconti à la Galerie GNG. C’est de l’art ? Oui, mais ça déborde du cadre. L’artiste pratique l’autoportrait en utilisant et en fusionnant plusieurs médiums artistiques. Elle se photographie elle-même puis peint par-dessus ses photographies à l’acrylique, ou effectue des collages. Parfaitement insérées dans ce nouveau monde poétique, les clichés s’effacent pour devenir autre chose que la réalité, nous emmenant dans un espace où l’être humain devient résolument libre.
La création artistique sans concession
Diplômée d’une école de Beaux Arts canadienne, l’artiste s’en écarte vite pour tracer son propre chemin, écrasée par les conventions, éprise de liberté. Son travail s’inscrit dans la spontanéité. Mélange des genres, mélange des styles, mélange des instruments. Elle passe de l’aérosol à l’acrylique avec une certaine légèreté. Lyzane Potvin a ce besoin d’interpeller, d’expérimenter. Son côté américain ? Peut-être : « Je crois que c’est très européen, la représentation classique, choisir un médium d’expression unique. On est vite étonnés quand sont mêlés plusieurs supports. Moi j’aime utiliser la photo pour en faire autre chose« .
Pour elle, pas question de faire un travail préparatoire. Chaque toile est une plongée vers l’inconnu. Chaque fois, Lyzane s’inspire d’une image mentale, puis tente de la faire sortir de sa tête. Ensuite, c’est l’explosion. Elle s’arme d’un pinceau, d’un briquet, de son imaginaire et la toile apparaît. Un travail qui laisse largement place à l’imprévu, comme elle l’explique : « Pour certaines toiles, j’ai renversé de l’encre. Je ne voulais pas l’utiliser au départ, mais je travaille librement ! Je n’ai pas peur de l’erreur. Finalement, j’ai aimé le résultat, le contraste entre ces jets noirs et le fond blanc. Pour moi, être artiste, c’est être libre. Je ne suis pas hypocrite avec moi-même. Je peins seulement quand j’en ai envie, je ne me force jamais”.
Ses toiles peuvent être malmenées, coupées, incendiées. L’aspect fragile de ses pièces peut effrayer les collectionneurs. Mais elle, qui a déjà eu le temps de réfléchir sur son art, n’en a que faire : « Faire des œuvres dont je sais déjà comment elles vont finir… Quel intérêt ? À l’époque, j’ai eu le choix d’adapter mon travail pour qu’il plaise plus. Ne pas le faire a été ma meilleure décision ».
« C’est un peu bizarre de faire ce métier en sachant que ça rend malade »
Lorsque nous la rencontrons, les phrases s’enchaînent rapidement. Lyzane a le regard vif, la prose verbeuse et lyrique. Sur Instagram, elle partage ses productions avec un enthousiasme qui ne démord pas. Son hobby ? La course. Mais pour arriver à la ligne d’arrivée, la route est parfois longue. C’est qu’il faut de la force vitale pour s’imposer en tant que femme dans un marché aussi féroce que celui de l’art. Il faut affronter les promesses non tenues, les jugements, l’exposition, les échecs, la solitude. Conjointement. C’est le prix à payer quand on partage physiquement et spirituellement une partie de soi-même dans son art. Lyzane Potvin, l’ovni, la même qui signaitla performance farfelue « Je suis une truie » il y a quelques années, l’admet. Un aveu qui nous déconcerte tant la figure semble être parée pour ne jamais flancher. Et pourtant ! La façade tremble à la préparation de chaque nouvelle exposition, à chaque nouvel accrochage : « C’est difficile de s’exposer. C’est un peu bizarre de faire ce métier en sachant que ça rend malade. Les critiques font mal évidemment. Parfois, on ne peut pas s’empêcher d’y prêter attention. Toutes mes pièces sont uniques. Je donne complètement de ma personne ».
Le temps l’aide à accepter, à faire entrer des inconnus dans sa tête. Pour elle, montrer équivaut à partager. L’atelier de Lyzane constitue un champ où tous les possibles apparaissent, un endroit où le passé et le présent fusionnent. Nous entrons dans l’éternité avec elle, libres et rêveurs, rassasiés de vie, de vitalité, prêts à tout affronter. Et elle aime faire de nous ses complices, pour le meilleur et pour le pire.
« Si je devais résumer mon travail en une thématique, ce serait celle de l’humain »
Lyzane Potvin se représente et se regarde à distance. Mais la femme dans ses toiles, celle qui baigne dans ces abstractions évocatrices n’est pas elle. Elle explique opérer systématiquement une distanciation : « J’essaye de devenir une allégorie, celle de toutes les femmes puisque j’en suis une, mais aussi de tous les hommes. Je veux montrer leur fragilité mais aussi leur force. Si je devais résumer mon travail en une thématique, ce serait celle de l’humain« . Celle qui se définit comme une féministe ouverte aux hommes est pétrie de considérations humanistes. La place des femmes dans la société, la précarité mais aussi l’isolement… Tout transparaît dans ses œuvres, indéniablement influencées par sa vie.
Lorsque Lyzane Potvin fait son entrée à Paris, où elle vécut pendant 8 ans, elle choisit de travailler pour le SAMU social. Une expérience qui la marquera pour toujours. Là bas, l’observation des corps affamés, désespérés, ou solitaires signe définitivement son obsession pour la représentation de la vulnérabilité, mais aussi de la grandeur de l’homme, inspirée par de belles rencontres.
Lyzane Potvin nous livre toujours un art impulsif, hypersensible. Concernant ses autoportraits, on n’en retient l’authenticité, mais surtout la fougue de créer.