Nathan Chantob : portraits anonymes

 

/// Emma Boutier

 

 

Muni d’une palette sombre et terreuse alliant les verts aux ocres, Chantob peint des moments suspendus. Des portraits d’individus au visage impénétrable, saisis sur le vif et extraits aléatoirement d’une foule léthargique. Des anonymes parmi les anonymes, que l’artiste érige en protagonistes d’une intrigue silencieuse, les isolant par un habile jeu de contrastes. Sans mot dire, Chantob décrit fidèlement les rapports humains dans leur banale complexité, habités par la solitude et la maladresse.

 

 

 

 

Les cadrages de ses compositions les apparentent à des vignettes de bandes dessinées qui invitent le spectateur à recomposer une narration qui ne se donne pas à lire. L’artiste change de statut d’une oeuvre à l’autre en variant les points de vue. Observateur en retrait, il effectue des zooms avants pour capturer des visages invisibles depuis son poste. Participant actif, il s’inclut dans la composition comme s’il appartenait à la scène. Voyeur pris sur le fait, il laisse un regard briser le quatrième mur qui sépare le spectateur de l’oeuvre.

 

 

 

 

En agrandissant ces instants anecdotiques, Chantob dramatise l’anodin pour en susciter l’observation. Ses grands formats de portraits en cadrage serré placent le spectateur face aux hommes invisibles, l’obligeant à soutenir leur regard fixe.

Son travail autour des couleurs complémentaires, unies par des successions d’aplats et de touches, le rapproche d’Egon Schiele, dont il se revendique. La présence du maître autrichien transparaît surtout dans le langage corporel, pensé comme véhicule d’émotions, et dont les torsions traduisent les états d’âmes.

 

 

 

 

Une figure d’universalité se singularise au milieu de cette exposition dédiée aux individualités. Cross for two montre un Christ vieilli et humanisé, qui se détache sur le fond obscur. Le tableau est empli d’un mystère qui atteint son paroxysme à travers les jambes désincarnées affluant du néant. Sommes-nous face à une image déstructurée du Christ, ou ces membres signalent-ils la présence discrète d’un anonyme partageant les stigmates ?

 

 

 

Dans l’accrochage, Cross for Two est situé non loin d’un nu assis et de dos, dont on devine que les jambes pendent dans le vide. Serait-il le propriétaire de cette paire de jambes isolées ? À vos hypothèses !