De symptôme à relique : l’art dégénéré au Musée Picasso-Paris 

De symptôme à relique : l’art dégénéré au Musée Picasso-Paris 

En exposant leurs plus grands chefs-d’oeuvre, le Musée Picasso-Paris rend hommage à Chagall, Barlach, Corinth, Grosz et bien d’autres artistes « dégénérés », selon la qualification du régime nazi.

 

 

/// Emma Boutier

 

 

Régénérer l’art

Le 19 juillet 1937, à Munich, le gouvernement nazi inaugure une double exposition opposant l’art officiel à l’art moderne « dégénéré ». Sous-tendue par un discours idéologique, elle marque le point d’orgue d’une politique de stigmatisation de l’avant-garde artistique, orchestrée par le ministère de Joseph Goebbels, sous la forme d’une caricature manichéenne confrontant le « bon » au « mauvais » art. Face à la Maison de l’art allemand, les productions d’art moderne prenaient place dans une scénographie du chaos, pensée pour nier leur statut d’oeuvre.

 

Adolf Dressler (1898-1971), Couverture du guide de l’exposition “Art” dégénéré, Entartete “Kunst” Ausstellungsführer (Guide de l’exposition “Art” dégénéré), 1937. Photo © mahJ / Christophe Fouin

 

 

Avec cette exposition, la première en France à ce sujet, le Musée Picasso-Paris formule une réponse symbolique à cet évènement, dans un geste mémoriel et réparateur. Au sein d’une institution prestigieuse associée à une figure majeure de l’art moderne, les oeuvres du catalogue « Entarte Kunst » retrouvent leur dignité.

 

 

Emy Roeder, Schwangere, 1918, Staatliche Museen zu Berlin, Museum für Vor- und Frühgeschichte, foto : Achim Kleuker © Museum im Kulturspeicher Würzburg, estate of Emy Roeder

 

 

Déterrées en 2010 lors de fouilles archéologiques à Berlin, des sculptures « dégénérées » ressuscitent dans la première salle de l’exposition. À l’état fragmentaire, elles prennent un sens nouveau, portant les stigmates, ineffaçables, des violences qui les ont visées. Autrefois présentées comme symptômes d’une dégénérescence, elles sont aujourd’hui les reliques de cette époque glaçante.

 

 

L’esthétique comme prétexte à un rejet idéologique

À l’appui d’archives de travaux sociologiques, l’exposition décompose l’arsenal rhétorique nazi dans toute son absurdité, partant du concept de « dégénérescence ». On y découvre des théories fumeuses, bâtissant des parallèles entre art et ethnie, comparant maladroitement la déformation expressive picturale à des dysmorphies pathologiques. Ces raccourcis hasardeux ont pourtant suffi à justifier la campagne de diffamation de l’art moderne et à la pourvoir d’une noble fin : secourir une civilisation en déclin.

Fondés sur des prémisses arbitraires, les contours de l’ « art dégénéré » n’ont pas toujours été nettement définis. Certains artistes ont suscité des désaccords au sein du NSDAP, révélant les failles d’une esthétique déterminée par une idéologie. Tantôt honni, tantôt défendu, Georg Schrimpf, peintre de la Nouvelle Objectivité, a fait vaciller certains dignitaires nazis, séduits par les apparences néo-classiques de ses toiles. Pourtant, Picasso n’a fait l’objet d’aucune concession ; ses oeuvres les plus caractéristiques du « retour à l’ordre » n’ont su faire oublier son attrait un peu trop voyant envers les arts africain et océanien. Quant à Emil Nolde, qu’importe qu’il fut un national-socialiste convaincu, son pinceau lui a été confisqué sur les ordres de son Fürher.

 

 

Pablo Picasso, Femme s’essuyant les pieds, Museum Berggruen, Neue Nationalgalerie, Stiftung Preußischer Kulturbesitz © bpk / Nationalgalerie, SMB, Museum Berggruen / Jens Ziehe © Succession Picasso 2024

 

Hommes et artistes

Comme pour remplacer les insultes inscrites sur les cimaises de l’exposition de 1937, des extraits de lettres écrites par les artistes persécutés jalonnent le parcours. Ces témoignages attestent de l’inscription de la campagne contre l’ « art dégénéré » dans le projet plus vaste d’anéantissement mené par les Nazis. Les attaques contre les oeuvres n’étaient que des exécutions en effigie de leurs créateurs et créatrices, véritables cibles de cette traque. Bien souvent, la violence symbolique précéda la violence physique.

 

 

Musée Picasso

  • Adresse : 5 rue de Thorigny
  • Code postal : 75003
  • Ville : Paris
  • Pays : France
  • Site Internet : www.musee-picasso.fr
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Musée Picasso

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