Art, science et récits d’anticipation au Centre des arts d’Enghien-les-Bains

Art, science et récits d’anticipation au Centre des arts d’Enghien-les-Bains

Depuis 2002, le Centre des arts d’Enghien-les-Bains a pris le parti audacieux d’axer sa programmation autour des écritures numériques. Si aujourd’hui cela paraît évident, à l’époque il s’agissait d’une réelle prise de risque. Co-réalisée par le Centre Wallonie-Bruxelles de Paris et le Centre des arts d’Enghien-les-Bains, l’exposition collective « Prométhée, le jour d’après » présente les travaux d’artistes contemporains aux techniques et aux démarches variées mais qui ont toustes pour point commun de proposer une réflexion plastique autour des enjeux d’extension du réel. L’exposition s’ancre parfaitement dans les parti pris de programmation du Centre.

« Prométhée, le jour d’après » tente de relire le mythe grecque à la lumière des préoccupations contemporaines en se basant sur une question : «Si Prométhée avait été condamné pour avoir révélé le secret du feu, quelles conséquences tirons-nous aujourd’hui de notre maîtrise des technologies ? ». Une proposition à découvrir du 21 septembre au 18 décembre 2022.

 

/// Alina Roches-Trofimova

 

Le point de départ du propos curatorial est de considérer Internet comme étant la 4ème révolution industrielle qui a mené au développement des principes d’intelligence artificielle, d’impression 3D, de réalité virtuelle et plus récemment du métavers. Ce bouleversement technologique a engendré de nouveaux enjeux civilisationnels et de nouveaux rapports au vivant et à nos corps. L’horizon du réel est actuellement en extension du fait d’avancées technologiques majeures et cela pose de nombreuses questions quant au devenir de notre espèce.

 

© 3- Symbiotic rituals, Justine Emard (ikegami – Ishiguro Lab)

 

Prométhée est le symbole du pouvoir de maîtriser la technique donné à l’Homme et la figure centrale de l’exposition. Pour penser cette figure et l’articuler à la révolution anthropologique opérée par le développement du numérique et la place prépondérante qu’il prend dans nos vies, l’exposition s’appuie sur la notion de « honte prométhéenne » développée par le philosophe allemand Günther Anders. D’après Anders, la « honte prométhéenne » advient chez l’Homme en face de la puissance démesurée de ses propres objets : ses créations techniques le dépassent. Si l’Homme est imparfait, ses machines sont parfaites et il se sent ridicule face à elles tout en les admirant. Or, l’Homme considère que cette faiblesse n’a pas à être et c’est précisément cela qui est à l’origine du sentiment de honte. Au fond, ce sentiment révèle une soif de puissance difficile à assouvir. La technique apparaît alors comme un cadeau empoisonné car si au départ l’Homme l’acquiert afin de compenser sa faiblesse face à la nature, pouvoir s’en protéger et la dominer, il se retrouve finalement dominé par la technique. De ce qui pourrait alors être ici considéré comme un revers de la médaille qu’est l’innovation, découlent des émotions contradictoires vis-à-vis de la technique — problématique qu’il est possible de transposer à notre rapport contemporain aux innovations technologiques.

 

© Hunter and Dog_abstract_v1b.20, Frederik de Wilde, 2021

 

© Monade II, Sabrina Ratté – Courtoisie artiste et Galerie Charlot Paris

 

L’exposition se déroule en trois parties :  « Prométhée » qui explore la quête de libération de l’Homme ; « L’hybris » qui interroge l’arrogance et l’orgueil humain ainsi que la condamnation religieuse du dépassement de la condition humaine ; « Le jour d’après » qui s’attarde davantage sur la fertilité contenue dans l’innovation. Parmi les travaux présents, vous pourrez découvrir ceux de Justine Emard, Alice Pallot ou Sabrina Ratté. Justine Emard explore les relations qui s’instaurent entre nos existences et la technologie à travers la photographie, la vidéo et la réalité virtuelle ; le point de départ de ses travaux est son intérêt pour les expériences de deep-learning et dialogues entre l’humain et la machine. Alice Pallot utilise le médium photographique pour simuler un documentaire d’anticipation qui met en scène la disparition future du monde végétal. Sabrina Ratté s’intéresse à la place du corps dans le monde numérique à travers différentes techniques : impressions de scans 3D, animation 3D, photographie, sculpture, réalité virtuelle, installation ou encore vidéo analogique. Autant d’oeuvres qui nous interrogent sur la manière dont nous ressentons et pensons les évolutions de notre réalité et sur un monde possible pour la cohabitation entre humains et non-humains.

 

© Margaret 4, Mathieu Zurstrassen, 2020

 

© Margaret 4, Mathieu Zurstrassen, 2020

 

© Margaret 4, Mathieu Zurstrassen, 2020
 

Visuel de couverture : © Monade IV, Sabrina Ratté – Courtoisie artiste et Galerie Charlot Paris, 2020