Charles Camoin : Un fauve en liberté

Charles Camoin : Un fauve en liberté

 

En Juin 1914, au pieds d’un immeuble de la rue Lepic, quartier Montmartre à Paris, où l’on peut croiser la bohème artistique : Van Dongen, Picasso, Manguin ou Derain, gisent dans la poubelle du 46, quelques centaines de débris de toiles colorées.

 

/// Stéphane Gautier

 

Un Chiffonnier avisé les récupère et les porte aux Puces de Saint Ouen. Elles y sont restaurées avant de passer de mains en mains de marchands. Ces débris de toiles c’est le peintre Charles Camoin (1879-1965) qui les a déposés. De retour de Tanger, l’artiste installé dans son atelier du 46 rue Lepic vient de lacérer sans distinction de sujet ou de dates environ quatre-vingts de ses toiles. Ayant eu vent de la revente de certaines de ses œuvres, Camoin intente en 1925 au procès au poète Francis Carco qui tente d’en revendre plusieurs à Drouot. En 1931 le procès aboutit et donne raison à Camoin qui finalement reconnaît la paternité de ces œuvres.

 

L’affaire représente un épisode majeur du droit français et fut l’un des cadres initiateurs de la législation sur la propriété intellectuelle, mais nous donne aussi un témoignage du tempérament de Charles Camoin traversé par des moments sombres et des doutes profonds.

 

Autoportrait – 1910 – ©Charles Camoin

 

Apollinaire dans Paris-Journal en date du 25 juillet 1914 relatera l’affaire en ces termes : « Le peintre Camoin mécontent de ses toiles voulut les détruire. Il les coupa en quatre et les jeta. Mais leur destin n’est pas terminé car elles furent recueillies et vendues à un amateur qui les fit arranger…Ces tableaux sont parmi les œuvres les plus intéressantes de ce peintre… ». Les archives Camoin ont pu identifier jusqu’à présent 15 peintures qui présentent toutes les stigmates de la destruction de 1914, camouflés par de plus ou moins habiles restaurations dont « L’indochinoise » peinte vers 1905 actuellement dans une collection privée, « Le Moulin Rouge aux fiacres » 1910 actuellement en dépôt au musée des Beaux-arts de Menton, et un autoportrait de 1910 propriété » d’un particulier.

 

« Le Vaillant marseillais, Carlos Camoin » comme se plaisait à l’appeler Cézanne, dont il fut un proche et que Camoin considérait comme son père spirituel, traversa de 1908 à 1912 malgré des expositions et la présentation de ses œuvres en Europe une période d’insatisfaction et de doute caractérisé par un assombrissement de sa palette. Sa démarche artistique se fait plus expressionniste, ses formes sont de plus en plus schématiques, l’écriture est large et épaisse, les couleurs sont rudes et les cadrages des compositions plus audacieux.

 

Lola sur la terrasse – 1920 – ©Charles Camoin

 

En abordant les années parisiennes qui ont permis d’inscrire Camoin dans l’histoire de l’art d’avant-garde, cette exposition permet de présenter autrement son œuvre que par la prime de son midi natal en intégrant une centaine de tableaux et dessins, dont certains inédit, à même de dévoiler l’évolution de son processus créatif, et ce à l’emplacement même de l’un de ses ateliers.

 

Deux Pins dans les calanques de Piana, Corse – 1910 – Collpart recadré – ©Charles Camoin

 

Visuel de couverture : La mère de l’artiste sur le divan –  1897 – ©Charles Camoin 

 

Musée de Montmartre – Jardins de Renoir