Le commissaire d’exposition et agent artistique Théo Bellanger investit le double espace de la Galerie Loft, en y réunissant quatre artistes dont le travail relève d’une dialectique entre la présence et l’absence. Le passage, la trace, le manque sont dans leurs oeuvres autant d’indices d’êtres sous-jacents, rendus visibles par leur regard.
/// Emma Boutier
La création au prisme écosophique
Théorisée par le philosophe Arne Naess, l’écosophie propose une approche holistique du vivant, incitant à penser l’interconnexion entre l’homme et les entités non-humaines, tout en rejetant les hiérarchies inhérentes à l’ère anthropocène.
Suivant un mode de pensée similaire, Rita Alaoui accomplit un devoir mémoriel envers une nature menacée. Le petit cabinet de curiosités, qu’elle assemble en glanant des éléments végétaux et minéraux, constitue son répertoire de formes. Ses toiles s’apparentent aux pages d’un herbier en grand format, qui recense les reliquats de plantes rencontrées au cours de ses pérégrinations. En faisant oeuvre de ces organismes, elle contribue à pérenniser leur empreinte, se détachant d’une vision conquérante.
Mais la présence humaine demeure latente. Elle se manifeste jusque dans les phénomènes naturels, dominés par nos regards et nos récits. C’est ce à quoi s’intéresse Solène Kerlo, cherchant à réactualiser un temps où le sacré constituait la base de toute chose, et où la nature était le médium de communication privilégiée entre les entités abstraites surplombantes et les hommes. Kerlo nous invite à penser une création non-humaine, à travers des compositions à la lisière de l’abstraction où la matière semble se déplacer librement sur le support, et qui évoquent notre représentation des phénomènes naturels.
Elle explicite ainsi le paradoxe de sa démarche : en cherchant à représenter un ordre non dominé par l’humain, elle s’appuie sur des formes qui évoquent les cartes météorologiques, symboles de la domestication de la nature par la science. Ce faisant, elle nous confronte à notre incapacité à concevoir un ordre véritablement libéré du regard anthropocentré.
Briller par son absence
La lumière est un support privilégié pour étudier l’ambiguïté d’une absence qui signifie la présence. Insaisissable, l’ombre est son corollaire, et en cela, elle fait apparaître autant qu’elle cache. Cette ambivalence fascine Mathias Bensimon, qui travaille à rendre, autant que faire se peut, l’agentivité de la lumière dans une peinture gestuelle abstraite. Chacun de ses tableaux fonctionne comme l’étude d’un état de lumière.
« Aucun bruit ne vient troubler le silence des chambres, où les meubles eux-mêmes semblent figés dans une immobilité éternelle. », Alain Robbe-Grillet, La Jalousie, 1957.
À première vue, les photographies d’Astrid Staes semblent proches de l’esthétique de la Nouvelle Objectivité allemande, par la froideur qu’elles véhiculent et l’emploi du principe de répétition du motif. Mais l’on y décèle des accidents, indices d’une présence discrète, qui dérangent l’ordre autrement parfait. La trace d’un passage apparaît dans les marques laissées sur l’assise d’un fauteuil, dans le léger décalage d’une chaussure ôtée dans la précipitation. Ces anomalies sont révélées par un rayon de lumière, seul éclairage dans la pièce sombre. Les espaces sont vides, mais ils furent peuplé par l’homme. Cependant, le mystère demeure quant à la durée de l’absence.
Les mises en scène de Staes semblent soumises à un regard intrusif, dont la présence se manifeste à travers des cadrages et des points de vue qui renvoient à l’externalité de l’oeuvre. Nous, spectateurs, sommes la présence invisible qui fait exister l’art.
Galerie Loft
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