Avec sa « scientificité » et ses contraintes techniques, la photographie passe pour une affaire d’hommes. Et de fait, jusqu’à une époque assez récente, les femmes « en vue » et reconnues s’y comptaient sur les doigts d’une main (à l’image de la plupart des champs disciplinaires, du reste), et des figures telles que l’américaine Lee Miller (1907-1977), tour à tour mannequin, modèle, compagne et assistante de Man Ray, Dorothea Lange (1985-1965), célèbre pour ses clichés immortalisant les routes sillonnées au volant de sa Ford, et qui influencera fortement ce qui deviendra le photojournalisme et la photo documentaire, ou encore, Helen Levitt (1913-2009), autre photographe américaine, qui captura avec son premier Leica, les gamins des rues de New-York attrapés au vol et divers graffitis dessinés à la craie.
/// Stéphanie Lemoine
Avec sa « scientificité » et ses contraintes techniques, la photographie passe pour une affaire d’hommes. Et de fait, jusqu’à une époque assez récente, les femmes « en vue » et reconnues s’y comptaient sur les doigts d’une main (à l’image de la plupart des champs disciplinaires, du reste), et des figures telles que l’américaine Lee Miller (1907-1977), tour à tour mannequin, modèle, compagne et assistante de Man Ray, Dorothea Lange (1985-1965), célèbre pour ses clichés immortalisant les routes sillonnées au volant de sa Ford, et qui influencera fortement ce qui deviendra le photojournalisme et la photo documentaire, ou encore, Helen Levitt (1913-2009), autre photographe américaine, qui captura avec son premier Leica, les gamins des rues de New-York attrapés au vol et divers graffitis dessinés à la craie. Ces trois femmes, figures si importantes dans la photographie internationale contemporaine, peinaient à émerger au sein d’un panorama on ne peut plus viril et demeurent toujours discrètes malgré les quelques rétrospectives présentées à la Fondation Henri Cartier-Bresson en 2007 pour Levitt ou en 2009, au Jeu de Paume pour Miller.
Dès le XIXe siècle et plus encore à partir des années 1920, les femmes sont pourtant nombreuses à investir un médium encore « neuf ». Pour qui accepte de « creuser » un peu sous la surface, elles se révèlent ainsi des actrices incontournables du sixième art, comme le suggère cet automne une série d’expositions au Musée de l’Orangerie, au Musée d’Orsay ou à la Maison de l’Amérique Latine.
La volonté de restituer au deuxième sexe la place qui lui revient dans l’histoire de la photographie, donne d’abord lieu à Paris jusqu’au 24 janvier 2016 à une double exposition : Qui a peur des femmes photographes ? Déclinée en deux volets chronologiques – le premier au Musée de l’Orangerie court de 1839 à 1914, tandis que le second au Musée d’Orsay couvre la période de l’entre-deux guerres, jusqu’en 1945 – celle-ci rassemble chefs-d’œuvre connus et inconnus pour mieux souligner l’accomplissement des femmes dans tous les genres photographiques – du photojournalisme au nu et à l’autoportrait.
A travers les œuvres de soixante-dix pionnières, la première partie de l’événement rend ainsi hommage à l’extraordinaire vitalité de la sphère anglo-saxonne au dix-neuvième siècle, d’Anna Atkins (1799-1871), auteur du premier ouvrage illustré de photographie (1843-1853) à Frances Benjamin Johnston (1864-11952), fer de lance du photojournalisme. Y sont aussi explorées les thématiques embrassées alors par les femmes, et tout particulièrement celle de la différenciation sexuelle, via le regard porté sur l’époux, le père ou le grand homme, des thématiques qui trouvent toujours un écho à notre société actuelle.
Le second volet de Qui a peur des femmes photographes ? à Orsay évoque quant à lui, le rôle joué par ces dernières dans l’institutionnalisation du medium pendant l’entre-deux guerres, et s’attache à montrer la façon dont elles subvertissent alors les codes artistiques et sociaux pour s’engager dans une pratique distanciée, et volontiers critique de la photographie. On y voit aussi les femmes investir peu à peu les territoires traditionnellement masculins : monde politique, scènes de guerre, contrées exotiques…
Cette plongée passionnante dans l’univers des femmes photographes trouve un écho à la Maison de l’Amérique latine, qui consacre jusqu’au 12 décembre la première rétrospective française dédiée à la figure-clé de la photographie mexicaine, Lola Álvarez Bravo (1903-1993). Tout le monde a déjà vu ses portraits emblématiques de Frida Kahlo sans pouvoir y mettre un nom dessus. En immortalisant sur le vif Diego Rivera ou Julio Castellanos dans la vie quotidienne, Lola Álvarez Bravo construit une œuvre réaliste et engagée, influencée par l’indigenismo, concept visant à valoriser le passé autochtone dans une société considérant ces peuples comme sauvages et archaïques, voire inexistants. Attirée par l’étrange, l’artiste se rapproche également des surréalistes en exploitant la thématique du sommeil et des avant-gardes en s’essayant au photomontage ou à la photographie murale.
Enfin, les femmes photographes sont à l’honneur chez nos voisins espagnols, et plus particulièrement dans le tout-neuf Centre Pompidou de Malaga, où se tient jusqu’au 24 janvier 2016 l’exposition Elles sont modernes, elles sont photographes. Regroupant plus de cent cinquante tirages réalisés entre 1920 et 1940, l’événement met en lumière le travail d’une vingtaine de femmes, parmi lesquelles la parisienne Laure Albin Guillot (1879–1962) connue pour son art du nu ainsi que ses « micrographies décoratives », Marianne Breslauer (1909-2001) et son œil de photojournaliste proche de la mise en scène cinématographique et du reportage subjectif, ou encore l’avant-gardiste Florence Henri (1893-1982) récemment exposée au Jeu de Paume, en passant par Nora Dumas (1890-1979) et ses photomontages, Dora Maar (1907-1997) ou encore, sûrement la plus connue du grand public Germaine Krull (1897-1985).