Souvent résumé à son tableau le plus célèbre Le Cri, Edvard Munch (1863-1944) est aussi l’un des peintres les plus novateurs de son temps, un des grands pionniers de l’expressionnisme moderne. Pourtant, l’artiste norvégien était obnubilé par les mêmes thématiques, presque à la frontière de l’obsession. Dans plusieurs de ses œuvres comme La Frise de la vie (1919), Munch exprime l’idée que l’humanité et la nature sont unies dans le cycle de la vie, de la mort et de la renaissance. Le musée d’Orsay revient sur ce peintre exceptionnel pour une exposition monographique nommée très justement Edvard Munch. Un poème de vie, d’amour et de mort, du 20 septembre 2022 au 22 janvier 2023.
/// Lolita Fragneau
Perdant sa mère très jeune, Munch traversa une enfance tumultueuse qui a probablement influencé ses dessins et sa vision ambivalente de la femme. Il ne suit pas de formation académique mais s’intéresse très tôt au dessin, et expose pour la première fois à dix-neuf ans, suscitant de nombreuses critiques. Après quelques voyages à Paris où il s’intéresse aux peintres déferlant le scandale, il décide d’abandonner la peinture de paysage et se concentre sur des portraits de ses proches. Très vite, il regroupe ses motifs de prédilection dans un projet qu’il intitule La Frise de la vie : « La frise de la vie a été pensée comme une série cohérente de tableaux, qui doivent donner un aperçu de la vie. J’ai ressenti cette fresque comme un poème de vie, d’amour, de mort… » (La Frise de la vie, 1919). A la manière d’un Balzac écrivant sa large fresque romanesque, Munch travaille tout au long de sa vie sur les toiles qui composent son projet et rythme son poème pictural.
Les différentes salles de l’exposition retranscrivent les thématiques qui ont fait la particularité de Munch. La section consacrée aux « Vagues de l’amour » se centre sur le lien, qu’il soit sentimental ou spirituel, qui unit les êtres humains entre eux. Suivant les mêmes procédés lyriques qu’un poète usant de métaphore, le peintre norvégien utilise la chevelure de la femme pour symboliser ce qui lie, attache ou sépare, rendant par là-même visible les émotions des personnages.
Le peintre qui depuis toujours « construi[t] un tableau à partir d’un autre » (projet de lettre à Axel Romdahl, 1933) pratique énormément l’art de la reprise, au point que chacun de ses tableaux semble être une variation de productions antérieures comme le montre le troublant mimétisme des Jeunes filles sur le pont (1927), une œuvre reproduite par l’artistes à travers différentes techniques artistiques. Cette habitude s’inscrit parfaitement dans la volonté cyclique de son œuvre et lui permet de diffuser plus largement son art, notamment grâce à la gravure qu’il pratique à partir du milieu des années 1890.
Une autre des sections rend compte de l’attachement qu’éprouvait Munch pour le théâtre, et l’influence que cette activité généra sur son approche de la construction de l’espace, notamment dans la série de toiles de 1907, La Chambre verte. De plus, certains thèmes d’Henrik Ibsen mais aussi du dramaturge suédois August Strindberg, font directement écho à l’univers pictural de Munch. Par exemple, il se représenta à plusieurs reprises dans l’attitude de John Gabriel Borkman – un personnage issu du répertoire d’Ibsen, cloîtré dans sa chambre pendant de longues années et prisonnier de ses pensées
Finalement, sa préoccupation principale, c’est d’explorer l’âme humaine dans toute sa banalité et sa profondeur : « ce doit être des personnes vivantes qui respirent et s’émeuvent, souffrent et aiment. », fondamentalement transcendées par leurs émotions tout en étant conscientes de leur finitude. Qu’est-ce que l’être humain, si n’est un amas d’amour, d’angoisse, et de doute existentiel ? Munch écrivit dans son carnet de notes au cours de l’année 1889 : « Je vais peindre une série de tableaux de ce genre – Les gens en comprendront la dimension sacrée et ils enlèveront leur chapeau comme à l’église », marquant par cette déclaration prophétique l’évolution de sa peinture vers le symbolisme au tournant des années 1890.
Musée d’Orsay
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