Entrer dans la modernité sous les pinceaux de Walter Sickert

Entrer dans la modernité sous les pinceaux de Walter Sickert

« Peindre et transgresser » est le titre intriguant de la nouvelle exposition du Petit Palais commencée le 14 octobre 2022 et qui durera jusqu’au 29 janvier 2023. Ces deux infinitifs résument parfaitement les activités qui régirent la vie de Walter Sickert (1860-1942), un peintre britannique dont l’audace artistique fût sans pareille, faisant de lui un symbole emblématique de la peinture figurative anglaise.

/// Lolita Fragneau

Walter Sickert était un homme cosmopolite, avec un profil très excentrique et énigmatique. Renouvelant sans cesse ses techniques picturales et peignant sur la toile des thématiques originales, il est considéré comme un acteur important de l’innovation artistique en Angleterre. Il fût à la fois acteur, graveur, peintre, critique et enseignant durant sa vie, n’hésitant pas à changer de casquette lorsque l’occasion se présentait.

Walter Sickert, Autoportrait,
Vers 1896, huile sur toile, Leeds, Leeds City Art Gallery, © Leeds Museums and Galleries (Leeds Art Gallery), U.K.

La première salle de l’exposition cherche à retranscrire ce caractère extravaguant en présentant plusieurs de ses autoportraits. Ces peintures, réalisées tout au long de sa vie, montrent bien l’évolution de son apparence extrêmement changeante, mais aussi la transformation de son train de vie ou de ses habitudes. Le peintre français Jacques-Émile Blanche dit ainsi de lui : « Si Sickert devait écrire ses mémoires, ceux-ci rempliraient des volumes aussi romantiques que ceux de Casanova. Nous y verrions ce Protée, ce caméléon, traverser différentes scènes en Angleterre, à Dieppe, et à Venise […], modifiant sa tenue vestimentaire et son aspect. Son génie pour le déguisement, dans ses habits, sa façon de porter ses cheveux et son élocution, rivalise avec celui de Fregoli. Il pouvait prendre l’apparence de l’empereur François-Joseph ; il pouvait être aussi élégant que le mannequin d’un tailleur, aussi loqueteux qu’un clochard. On aurait pu le prendre pour un marin à Dieppe, ou un gondolier ; mais par nature, il a toujours été un gentleman distingué. »

Dans la suite du parcours, le visiteur peut découvrir les influences de Sickert. Ainsi, en 1882, il commence sa carrière dans l’atelier de James Abbott McNeill Whistler (1834-1903) qui l’initie à la représentation de paysages, souvent urbains. C’est également auprès de lui qu’il apprend l’art de la gravure. En 1883, il rencontre Edgar Degas (1834-1917) pour la première fois, et noue avec lui une amitié indéfectible. Leur proximité efface peu à peu le rayonnement de Whistler, et se lie graduellement sur ses œuvres : la composition est mieux construite, les couleurs plus vives et expressives.

Walter Sickert, The PS Wings in the O.P Mirror ou le Music-Hall (1888-1889), huile sur toile,
Rouen, Musée des Beaux-Arts, © C. Lancien, C. Loisel

Une salle en particulier retient toute l’attention du visiteur : celle qui s’attache à montrer ses œuvres de music-hall, imminemment provocatrices. Sujet subversif, Walter Sickert fait scandale avec ce thème populaire qui évoque l’alcool et la prostitution. Jusqu’à alors inédit en Angleterre, ce thème marque l’entrée du peintre britannique dans la modernité. Presque chaque œuvre est alors accompagnée d’un QR code, donnant l’occasion au visiteur de se plonger dans les musiques types d’un music-hall. Entre ces différentes sonorités et le cadrage réfléchi des peintures exposées, le visiteur se retrouve immergé dans une vaste salle de spectacle, où il peut admirer les chefs-d’œuvre les plus fameux de l’artiste.

Dans les années 90, Sickert traverse une mauvaise passe financière : ses tableaux de music-hall se vendent mal et sa femme Ellen Cobden-Sickert le quitte. Il essaye de peindre alors un nouveau genre : le portrait. Toutefois, il n’arrive pas à se résoudre de peindre pour le bon plaisir du commanditaire, ce qui contrarie fortement sa stratégie commerciale. Il retourne alors un temps à la peinture de paysage, s’inspirant de ses différents voyages en Italie ou en France. Ce qui l’anime le plus, ce sont les architectures particulières – telles que la Basilique Saint-Marc à Venise ou L’Hôtel Royal Dieppe – traversées par des couchés de soleil dont les couleurs enflamment la toile.

Walter Sickert, Blackbird of Paradise, c. 1892, huile sur toile, Leeds, Leeds City Art Gallery, © Leeds Museums and Galleries, UK

Le XXe siècle marque le début de sa « période française », caractérisée par la représentation du nu. Jusqu’alors, le nu avait besoin d’un prétexte pour exister. En France, des artistes tels que Courbet ou Degas mettent fin à ces convenances, et dépeignent le nu dans sa crudité la plus franche. Grâce à Sickert, l’érotisme disparait de la toile pour la première fois en Angleterre, ce qui marque un tournant notable de l’histoire de l’art. Les décors sont intimistes, les cadrages atypiques, ce qui laisse le spectateur en posture de voyeur, comme s’il observait la scène de manière dérobée. Tout dans ces peintures est inhabituel, presque dérangeant, mais à la fois généreux. Ce sont des cadeaux offerts, des petits bouts d’âme sur toile.  

Walter Sickert, La Hollandaise, C. 1906,
huile sur toile, Londres, Tate, © 2022 Tate Images

Petit Palais

  • Adresse : Avenue Winston Churchill
  • Code postal : 75008
  • Ville : Paris
  • Pays : France
  • Tel : 01 53 43 40 00
  • Site Internet : www.petitpalais.paris.fr
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Petit Palais

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