Eugène Leroy « avec la mer du Nord… »

Eugène Leroy « avec la mer du Nord… »

La rétrospective qui se tient aujourd’hui au Musée d’Art Moderne de Paris apporte à Eugène Leroy une reconnaissance internationale. Tourcoing, sa ville natale, n’est pas en reste et le MUba présente une exposition pointue, complémentaire de la présentation parisienne. Elle rappelle surtout les liens de l’artiste avec la culture des Flandres et ses amitiés avec d’autres géants du Nord, les sculpteurs Eugène Dodeigne, Jean Roulland, Roel D’Haese ou les peintres Arthur Van Hecke, Marc Ronet, Pierre Hennebelle, Alfred Manessier, Ladislas Kijno…

 

/// Renaud Faroux

 

Si à Paris on plonge au cœur de toute sa production, Eugène Leroy à Contre-Jour permet d’explorer ses relations dans le milieu culturel et artistique du Nord des années 1950 à 1980. La présentation tourquennoise renouvelle et réactualise le regard sur l’artiste par sa recontextualisation géographique et culturelle. Le MUba fort de la donation exceptionnelle de 450 œuvres faite en 2009 apporte un caractère scientifique à cette exposition organisée par la nouvelle conservatrice des lieux, Mélanie Lerat, assistée de Christelle Manfredi. Il faut aussi souligner le brillant apport de l’historien d’art Germain Hirselj, à qui on doit la récente publication du catalogue de la rétrospective Eugène Dodeigne qui s’était tenue au Musée de la Piscine de Roubaix.

 

Eugène Leroy, Silhouettes de femmes, 1950, huile sur toile, © LaM – Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, photo : Philip Bernard
 

Longtemps certains n’ont voulu voir en Eugène Leroy qu’un médiocre peintre figuratif qui à force d’obstination était arrivé à quelque chose d’étrange et d’intéressant. Le public médusé, devant ses toiles composées de couches et de couches de matière, distinguait mal les personnages, les paysages, les intérieurs et se demandait comment toute cette substance pouvait tenir sur la toile ! L’incontournable reconnaissance tardive dans les années 1980 est venue grâce au conservateur du musée de Gand, Jan Hoet, et surtout au galeriste de Cologne Michael Werner. L’accrochage actuel nous transporte dans l’intimité du peintre et remonte le temps jusque dans les années 1950 quand, dans sa ville natale, Leroy fut découvert par le marchand Marcel Evrard, exposé dans l’enceinte même de ce musée par Jacques Bornibus, accroché à Paris à la galerie Claude Bernard. Un des charmes de la présentation au MUba est de nous remettre dans l’ambiance énergique du monde culturel du Nord des années 1960, de nous montrer le dynamisme de sa scène artistique. L’organisation dans différents cabinets fait la part belle aux grandes collections des industriels du textile de la région, comme André Lefebvre, Philippe Leclercq, Jean Masurel. Des œuvres de Leroy sont ici confrontées avec des pièces importantes de Georges Rouault, Alfred Manessier, Serge Poliakoff, Germaine Richier, Ladislas Kijno, Alicia Penalba, Bernard Buffet, Arthur Van Hecke… acquises auprès de galeristes locaux : Parenthou, Dujardin, Création à Roubaix ; Septentrion à Marcq-en-Baroeul ; Evrard, Galerie Nord et Dupont à Lille ; Veranneman à Bruxelles… dont le rôle fut capital pour le rayonnement de la scène nordique.

 

Jean Roulland, Tête, 1962, Bronze, © LaM – Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, photo : Philip Bernard
 

Avec ses amis sculpteurs et leurs belles pièces, une danseuse d’Eugène Dodeigne, Le retour du fils prodigue de Roel d’Haes, La Bête Humaine de Jean Roulland, Leroy participe à une certaine légende des Flandres depuis Bosch, Rubens, Rembrandt, Spilliaert, Permeke jusqu’à Ensor dont sont présentées quelques gravures. Il s’intègre à cette tradition marquée par un goût de la composition baroque et de la violence d’un geste expressionniste. Mélanie Lerat précise : « De manière quasi physique ces artistes captent le climat et la lumière si fine de la mer du Nord, des paysages mouillés, saturés d’eau et de terre, des brumes aux contours évanescents, une fascination pour le tragique et le fantastique marquée par une figuration brutale avec le surgissement de personnages sortis de l’ombre… » Les sensations sont fortes et ont la saveur du patois d’ici accompagnées d’un café à la chicorée, d’un verre de genièvre et d’une gaufre au beurre et à la cassonade. L’exposition propose des liens thématiques, formels, ou même de personne à personne avec les artistes, les conservateurs de musées, les galeristes, les collectionneurs. Pourtant Leroy n’a jamais décidé d’être un chef de file et aimait à dire : «  Je n’ai jamais été dans un groupe (…) Je n’aime pas du tout qu’on me qualifie d’homme du Nord – ça n’a pas beaucoup de sens pour moi. Que je sois marginal, je veux bien, ça m’amuse ».

 

On peut alors regretter que cette vaste présentation reste dans des comparaisons à dimension régionale et que soient absents d’autres artistes, figures marginales mais importantes qui ont exposé avec Leroy particulièrement Marcel Pouget et John Christoforou. On aurait pu aussi imaginer découvrir une œuvre de Francis Bacon dont on aime à rapprocher sa peinture ou une fameuse figure retournée de Georges Baselitz dont il fut l’une des sources. A la suite du texte d’Hector Obalk Eugène Leroy peinture à l’huile, on s’attendait à voir Le portrait de ma concierge de Jean Fautrier, ce chef d’œuvre du MUba. Il aurait permis de mettre en relation le stentor du Nord avec cet autre maître de la matière mise à nue. Quand Leroy écrivait : « Je voudrais toucher la peinture comme la peinture vous touche. La « toucher », je le dis comme on aime une femme », il est proche du maître des Otages qui toute en prenant conscience du danger des recherches matiéristes affirmait : «  Aucune forme d’art ne peut donner d’émotion s’il ne s’y mêle pas une part du réel, si infime qu’elle soit, si impalpable. » De subtils rapprochements sont fait entre la magnifique série des Saisons de 1993 et la scène artistique contemporaine incarnée par Bernard Moninot, Sarkis, Gloria Friedmann, Claire Chesnier, Caroline Achaintre, Mimosa Eschard… Dans cette dernière série de toiles emblématiques, Leroy marie avec maestria la lumière de Poussin et les Illuminations de Rimbaud pour arriver au but qu’il a recherché : « Tout ce que j’ai jamais essayé en peinture, c’est d’arriver à cela, à une espèce d’absence presque, pour que la peinture soit totalement elle-même. » Devant toutes ces riches confrontations on ne peut pas bouder son plaisir.

 
Eugène Leroy, Maternité – Bambara, huile sur toile, © collection particulière, photo : Sophie Delmas
 

Visuel de couverture : Eugène Leroy, Autoportrait en Flandres, 1962, huile sur toile © collection particulière photo : François L. Pons

Musée MUba Eugène Leroy

  • Adresse : 2, Rue Paul Doumer
  • Code postal : 59200
  • Ville : Tourcoing
  • Pays : France
  • Tel : 0320289160
  • Site Internet : http://www.muba-tourcoing.fr