Du 19 au 28 avril, la Galerie du Crous de Paris présente Honda Accord 2000 V6 M1 130K de l’artiste Thomas Guillemet : une exposition qui fait le bug.
Post vérité porn, en lettres capitales ondulantes et noires, au milieu d’un fond blanc. La typographie est épurée, acérée, et efficace. Pas de fioriture, en effet, le modèle est simple, brut. Les lettres sont nettes. Elles évoquent le logiciel de traitement de texte, la froideur de la page word, le pragmatisme du net, dépouillé de sensibilité. Le texte est à l’image du style : abrupt comme une prise de note, et pourtant beau de simplicité. Comme une série de mots clés dans une recherche google, les mots sont juxtaposés, la syntaxe a été abandonnée au profit de l’efficacité : le sens est dans les blancs. Allitération en [p] et rapprochement singulier : seule subsiste la substantifique moelle de la poésie.
Car c’est bien une esthétique squelettique qui figure dans la série Pornpoetic1000, interface textuelle et fonctionnelle d’un ramassis d’images de consommation sexuelle et virtuelle. Elle apparaît comme le reflet de notre société post-moderne, dont le sens se dérobe derrière les suffixes, les anglicismes et les phrases nominales. Ère du post et du méta, pourrait-on raccourcir : post appelism, post vérité, metaporn : autant de néologismes dont le sens est après, au-delà, par delà, mais ne cesse de nous échapper. Compliqués, ils cherchent à rendre pensables l’impensé, Thomas Guillemet les extrait de leurs contextes saturés (le web, les media, la recherche universitaire, la publicité), pour les isoler sur un fond blanc immaculé qui ébauche plutôt, une pré-vérité.
Car l’artiste de 27 ans, sorti major de l’école des Arts Décoratifs de Paris crée un art conceptuel 2.0 à l’image de la génération XY. Ainsi, exploite t-il et interroge t-il les potentialités et les caractéristiques de l’informatique, du numérique et de la technologie, enjeux d’aujourd’hui et de demain. Dans son installation Le corps comme limite du code, une piste de danse futuriste entourée de capteurs est mise à disposition du visiteur. Des écrans plaquent au sol des vidéos de danseurs tandis que sur les côtés, des hologrammes reproduisent les gestes du spectateur, dans une nappe de lumière liquide et translucide. De part et d’autre de ces corps dématérialisés, des lignes de codes défilent et s’agitent, traitant l’information à toute vitesse. L’intelligence algorithmique des machines est mise à nue.
Mais, à mesure que le corps se déhanche et se contorsionne dans une gestuelle sophistiquée, les chiffres s’emballent, et les hologrammes déraillent et se disloquent. La machine s’étrangle, comme vaincue par l’énergie de la danse qui provoque un bug ultime et sublime. Le corps, physique et pulsionnel triomphe sur le code source. Les œuvres de Thomas Guillemet et son équipe nous rappellent que nous sommes générateurs de contingence, de variables et de dysfonctionnement qui, face à la technique, constituent autant les moyens que les fins de la liberté.
Texte : Elodie Réquillart
Crédit visuel : #006FAIL, Thomas Guillemet, dimensions variables, techniques mixtes, supports multiples
Equipe : Indira Béraud, Pierre-Ange Aznar, Dylan Da Silva, Yoan Rihouay, Nabil Idhammou, Clément Barbisan, Tw0