La peinture douce-amère de Xinyi Cheng

La peinture douce-amère de Xinyi Cheng

 

La Fondation Lafayette Anticipations consacre une exposition à l’artiste chinoise Xinyi Cheng. Sous le commissariat de Christina Li, l’exposition Seen Through Others réunit une trentaine d’œuvres de l’artiste réalisées entre 2016 et 2021. Un travail envoûtant à voir absolument du 23 mars au 28 mai 2022. L’exposition est gratuite.

 

/// Alina Roches-Trofimova

 

Qu’est-ce qui est vu à travers les autres (« seen through others ») ?  D’abord, la condition humaine — aussi bien celle de Xinyi Cheng que celle des autres et par conséquent la nôtre. La peinture de Cheng est imprégnée de la difficulté à penser cette condition. Tout comme nos désirs, nos pulsions, nos angoisses et tout ce qui nous rend humains, la peinture de Cheng est sujette à ambiguïté et possède des zones d’ombre. Une partie de nos vies est innommable, impossible à appréhender par la pensée et la parole. C’est peut-être là l’une des réalités les plus difficiles à saisir et à accepter. Pourtant, c’est bien cela que Xinyi Cheng parvient à peindre en s’adressant à nos affects à travers une peinture envoûtante et gracieuse.

 

Les tableaux exposés nous laissent voir des instants suspendus qui forment comme des bulles d’intimité. Souvent faites de gestes anodins (allumer une cigarette, tendre une main pour entrouvrir une fenêtre, s’embrasser, raser la nuque d’un client, etc.), ces bulles nous incitent à renouveler notre regard sur des éléments quotidiens. Nous voyons le monde à travers les yeux de Xinyi Cheng et nous la voyons à travers la manière dont elle regarde le monde. Ce regard est singulier et imprégné de problématiques de la pensée contemporaine. Il soulève notamment des questions relatives à notre rapport aux animaux ou encore à la masculinité. En effet, peignant principalement des silhouettes masculines, Xinyi Cheng renouvelle les représentations en les montrant à travers son regard féminin. Il y a un véritable échange avec le spectateur via une peinture qui, bien qu’énigmatique, n’en est pas moins généreuse.

 

Xinyi Cheng, Landline, 2021, 146 × 160 cm, Courtesy de l’artiste et Matthew Marks Gallery, New York _ Courtesy of the artist and Matthew Marks Gallery, New York, ©photo Aurélien Mole

 

Dans ce regard singulier, apparaît une relation complexe à l’altérité. Comme le souligne Rebecca Lamarche-Vadel, derrière l’apparente douceur de l’œuvre de Cheng, il y a en réalité une violence contenue, un potentiel danger. C’est ainsi que certains instants représentés se montrent paradoxaux :  dans le tableau The Smoker le manteau de fourrure de la fumeuse se fond avec la fourrure du chien de compagnie dessinant l’étrangeté du rapport qu’entretient notre société avec les animaux et faisant presque pencher l’œuvre vers ce que Christina Li nomme le « comique absurde » (originellement à propos du titre du tableau « Where do the noses go ? »). Il y a autant de tendresse que de méfiance dans la manière dont nous est présenté le vivant. Nous ignorons ce à quoi pensent les personnes et les animaux représentés et ne pouvons qu’imaginer leurs vies intérieures. Cela met en lumière le fait qu’il y aura toujours quelque chose qui nous échappe :  la pensée des autres, l’instant d’après, notre avenir, etc. Finalement, ce que l’on voit à travers les autres, ne serait-ce pas nos propres incertitudes, notre silence face au mystère ?

 

Xinyi Cheng, Swimmers, 2021, 100 × 120 cm, Collection privée, Hong Kong _ Private collection, Hong Kong, © photo Aurélien Mole

 

Cette manière de peindre l’intime nous amène dans des tableaux-bulles situés quelque part au croisement des rêves et des souvenirs. En résulte quelque chose de flottant, l’impression que chaque peinture est un fragment indépendant du monde que Xinyi Cheng nous invite à contempler. L’autonomie des sujets peints est renforcée par la sensation que le contexte est là, mais qu’étant situé hors-champ, il est insaisissable. Quelque chose demeure silencieux, énigmatique et continue à nous échapper. Dans le livret de l’exposition disponible à la librairie de Lafayette Anticipations, Xinyi Cheng raconte :  « Ma mère et moi faisions un road-trip de San Francisco à LA. La route longeait la mer et la vue était sublime. On avait des champs sur notre gauche et l’océan sur notre droite. Le soleil disparaissait derrière l’horizon et il commençait à faire nuit. Nous nous sommes engagées sur une route de montagne quand le brouillard est tombé. Il était si épais que nous sommes passées en pleins phares, mais le brouillard restait impénétrable. On voyait à peine devant nous et il n’y avait aucun endroit où s’arrêter. Voilà le sentiment que m’inspirent l’avenir et la nature depuis deux ans. » S’il y a autant de tensions et d’ambiguïtés dans la peinture de Xinyi Cheng, c’est peut-être parce qu’elle représente nos trajectoires embrumées, baignées d’incertitudes. Ne sachant pas où l’on va, nous avançons à tâtons.

 

Vue de l’exposition de Xinyi Cheng, Seen Through Others, Lafayette Anticipations – Fondation Galeries Lafayette, Paris. Photo © Pierre Antoine

 

Visuel de couverture : Xinyi Cheng, The Smoker, 2021, 73 × 71 cm, Courtesy de l’artiste _ Courtesy of the artist, © photo Aurélien Mole

 

Lafayette Anticipations – Fondation d’entreprise Galeries Lafayette

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