L’anarchie joyeuse des « Libres Figurations »

L’anarchie joyeuse des « Libres Figurations »

À Calais, le Musée des Beaux Arts et la Cité de la dentelle et de la mode signent une éclatante coopération avec le Fonds Hélène et Edouard Leclerc pour la culture en reprenant de manière enrichie et augmentée l’exposition « Libres Figurations : Années 80 ». Tout d’abord montrée fin 2017 aux Capucins de Landerneau dans leur fief, cette exposition consacrée aux artistes des années 1980 se déploie aujourd’hui avec plus de 300 œuvres dans deux musées de la ville des Bourgeois de Rodin.

/// Renaud Faroux 

 

Dès l’entrée du hall du Musée des Beaux-Arts, comme dans un « bateau ivre », nous sommes assaillis par les « Indiens » polychromes de Luciano Castelli, « peaux rouges criards » qui concurrencent des grotesques fluos en trois dimensions de Buddy Di Rosa. En hauteur claquent des bannières à la gloire du voyage par François Boisrond et surtout une flamboyante toile collective où les fers de lance de la Figuration Libre sont présents au grand complet.

Conservée par le marchand Yvon Lambert, cette toile exceptionnelle à l’énergie électrique digne d’un concert de Clash a été peinte en direct lors d’une soirée au grand Rex en 1982. Le duel se présente sous la forme d’un grand Pinocchio jaune de Di Rosa auquel fait face un danseur dément de Combas et démontre déjà la gentille compétition bagarreuse entre les deux artistes ! Les deux valseurs virevoltants sont entourés de gratte-ciel tremblotants peints par Boisrond et d’un bel oiseau bleu blessé de Remi Blanchard.

Blanchard, Boisrond, Combas, Di Rosa, Sans titre, 1982, Peinture acrylique sur toile, 207 × 450 cm, Collection privée, Paris – dépôt à la collection Lambert © Adagp, Paris, 2021

À leur côté, une foule d’autres vedettes ! Pascale Le Thorel, la commissaire de l’exposition s’en explique : « Ma proposition veut dépasser le simple cadre des artistes de la Figuration Libre et montrer toute la scène internationale des années 1980 de Paris à Leningrad en passant par Berlin et Pékin ! » De son côté l’artiste Nina Childress, membre du collectif des Frères Ripoulin, se réjouit que cette exposition permette de « ressortir des artistes du placard » et demande avec tendresse une certaine indulgence pour ses œuvres de jeunesse exposées ici.

Un bel autoportrait d’Elvira Bach, l’unique actrice féminine de la scène allemande l’amène à regretter l’absence d’Olivia Clavel du groupe Bazooka. Elle précise qu’à l’époque, il était possible pour une artiste femme comme elle ou encore Catherine Viollet d’exister dans un milieu essentiellement masculin.

Elvira Bach, Palme Und Negerkamm, 1982_Acrylique sur toile, 165 × 135 cm_Collection Speerstra © Adagp, Paris, 2021

Après des œuvres qui démontrent la volonté d’un dialogue avec les maitres de la peinture : hommage à l’expressionisme de Grosz par Di Rosa dans « La Rue du Malheur », aux marines de Delacroix par Boisrond, à l’école de Pont Aven par Blanchard dans un précieux bas relief sur bois, au « Radeau de la Méduse » par Speedy Graphito, l’exposition perpétue son feu d’artifice avec les « Nouveaux Fauves » allemands conduits par Rainer Fetting, Georg Dokoupil, Walter Dahn, Luciano Castelli et surtout Milan Kunc, la véritable star de l’époque.

D’un autre côté, la partie consacrée aux Américains est assez faible : pas de toile de Jean-Michel Basquiat, un simple graffiti de Keith Haring sur un capot de voiture et deux sérigraphies brouillonnes, un mauvais Kenny Scharf tardif…Ils sont quand même sauvés par les brillants graffitis de Futura 2000 et de Crash, par un autoportrait de Daze, légende du bombage newyorkais. La véritable surprise de cette vaste présentation est la grande place laissée aux artistes punk russes : Afrika, Assa, Kotelnikov, Krissanov, Novikov… Tous complètement inconnus à l’époque, isolés derrière le rideau de fer, ils rendent comptent avec violence de leur fureur de vivre.

Richard Buddy, Di-Rosa, Mister-X, 1983, Mannequin plastique et résine polyester, 150-x-50-x-85-cm, Collection Speerstra © Patrick Goetelen, Richard Di Rosa ©Adagp Paris 2021

Il faut s’embarquer du coté du Musée de la Dentelle où se poursuit le vaste show pour véritablement se plonger dans cette atmosphère « Sex, drug and Rock’n roll » marquée par le concept du « Do It Yourself ». Sous les auspices d’une fresque colossale des Frères Ripoulin, l’exposition présente dans de grandes niches noires de véritables forêts de tee-shirts réalisés par Combas, Boisrond, Di Rosa, Blanchard, Harring, OX…, de Perfectos et Doc Martens barbouillés par Kriki, les VLP, Trois Carrés… ainsi qu’une sommaire paire de sabots calligraphiés au fusain par l’icône du mouvement, Jean-Michel Basquiat !

Une autre surprise est la belle place faite aux œuvres enfantines, mystiques et érotiques de Waty, Tristam et Francky Boy du collectif des Musulmans Fumants… L’exploitation originale des deux espaces permet de dépasser une simple exposition de tableaux. L’anarchie gouailleuse qui se dégage de cette présentation rend compte du climat des années 1980 marquées par « un joyeux bordel généralisé » selon les propres mots de François Boisrond.

Nina Childress, Pollux chromatique, 1986_Acrylique et phospho sur toile, 46 x 55 cm_Collection de l’artiste © Adagp, Paris, 2021

Musée des Beaux-Arts de Calais

  • Adresse : 25 rue Richelieu
  • Code postal : 62100
  • Ville : calais
  • Pays : France