Mike Kelley, Ghost and Spirit : catalogue d’exposition

Nous sommes en 1973. Sur les murs de cette école d’art californienne, des affiches annoncent une conférence avec un illustre professeur. Une fois l’heure venue, les étudiants se massent dans le couloir. L’heure tourne. Ce n’est finalement pas le professeur qui les attend mais un homme affublé d’une jupe, d’une perruque et d’un bandeau, prêt à commencer sa performance de ballet. Cet homme n’est autre que Mike Kelley. Qui aurait pu imaginer que ce farceur à l’apparence éternellement adolescente allait inaugurer une nouvelle ère artistique ? Que reste-t-il de cet artiste qui a profondément secoué l’Amérique bien-pensante d’après-guerre ? Une influence persistante, une œuvre multimédia et des fragments autobiographiques qui s’entrelacent dans l’ensemble de son travail, peut-être.

Irrévérencieux, trash et volontiers punk, il décrivait son travail performatif comme “l’exorcisme d’une façon de penser”. En 2012, cet anti héros américain se donnait la mort, après avoir nourri une carrière mobilisant tous les supports, allant de la peinture à la sculpture en passant par l’installation sonore. Né à Detroit au sein d’une famille catholique ouvrière, Mike Kelley a su mobiliser des questions sur le rôle de l’artiste et de l’art dans la société. Fasciné par les sous-cultures, les outsiders et la psychanalyse, son œuvre a tenté de mettre au grand jour les refoulements insoupçonnés de la culture américaine, ses névroses inconscientes, mais aussi la manière dont la subjectivité individuelle pouvait être façonnée par les structures de pouvoir, qu’elles soient familiales ou institutionnelles.

Réalisé grâce au soutien d’institutions prestigieuses telles que la Tate Modern à Londres et la Mike Kelley Foundation for the Arts, le catalogue d’exposition conçu à revient sur les moments clés de sa carrière, sur ses éclats et ses scandales. Sous la direction de Catherine Wood, Fiontan Moran et Jean-Marie Gallais, le catalogue donne la parole à plusieurs contributeurs qui analysent les œuvres de Mike Kelley et leur portée symbolique. Composé d’une dizaine de textes critiques, l’ouvrage réunit les perspectives de commissaires d’exposition, de critiques d’art et d’universitaires. Adoptant un format rappelant la lettre ouverte, il offre aux lecteurs une exploration approfondie du foisonnement créatif de Mike Kelley, tout en déchiffrant ses performances les plus excentriques. Parmi les œuvres évoquées, citons « The Banana Man », « Day is done » ou encore la série « The Poltergeist ». Les textes, accompagnés de photographies et d’écrits préparatoires explorent différents aspects de l’œuvre de Mike Kelley, tels que son rapport au féminisme, à la marginalité, à l’enfance, à la culture populaire et à l’identité.

Le livre présente des clichés de diverses performances, des œuvres acryliques et collages, des dessins, et même des pièces tricotées de l’artiste. Il inclut également en grandeur nature le script d’“Under a Sheet/Existence Problems”, accompagné de notes de croquis. Le catalogue s’affranchit du parcours de la Bourse de Commerce pour présenter l’œuvre de manière transversale et thématique, intégrant tous les éléments de l’exposition « Ghost and Spirit » tout en enrichissant le contenu par une mise en page soignée.

“J’ai disparu mais je survis en d’autres, les autres sont des reflets, là dans le but de prouver mon existence.” C’est comme cela que Mike Kelley parle de lui dans sa propre personne dans Under a Sheet/Existence Problems. Qui était-il, sinon ce spectre, perpétuellement insaisissable, se dissimulant tout au long de sa carrière derrière la mémoire collective qu’il a tenté d’incarner ? L’artiste se pensait fantôme, voué à disparaître, tandis que les esprits, eux, subsistent par la mémoire. Son œuvre, dont le catalogue d’exposition révèle toute la contemporanéité, fait incontestablement de lui un esprit.