Tradition de l’avant-garde au Château de Montsoreau

Tradition de l’avant-garde au Château de Montsoreau

Construit à la confluence de la Loire et de la Vienne, au cœur du « triangle d’or viticole » Bourgueil, Saumur, Chinon,  le Château de Montsoreau est un chef-d’œuvre architectural qui marie styles gothique et renaissance. Il est surtout aujourd’hui un haut lieu de l’art contemporain. Seul château de la Loire qui s‘impose à même le lit du fleuve, il se reflète majestueusement dans l’eau comme pour mieux nous immerger dans l’exceptionnel ensemble d’art conceptuel constitué par Philippe Méaille et consacré au collectif anglophone Art & Language.

 

/// Renaud Faroux

 

A Bad Place

Dès la cour du château le ton est donné. Parallèle au fleuve, le bâtiment comprend un corps de logis flanqué de hautes tours carrées et de tourelles d’escaliers l’un médiéval, l’autre renaissance. La splendide façade fait penser au Palais d’Urbino. Sur le bâtiment administratif, un arc de cercle jaune de François Morellet. Sur les graviers du parvis, une pièce monumentale qui ne manque pas d’humour signée Art & Language où se lit en lettres gigantesques : A BAD PLACE. Le maître des lieux, Philippe Méaille commente : « A BAD PLACE est la seule installation permanente d’Art & Language dans l’espace public. Elle amène une contemporanéité au château, et elle a l’avantage, en raison de sa taille monumentale, d’être visible depuis les satellites de google map ! Les artistes ont depuis décliné le concept de l’œuvre A BAD PLACE sur différents supports défendant les valeurs de l’art contemporain : une installation au Musée de l’Armée aux Invalides à Paris ; une publication dans les pages de 5 numéros d’Art Press ; des affiches dans les rues de Bâle pendant Art Basel ; une inscription sur la façade du documenta Institute de Kassel pendant la documenta 15… L’œuvre est ici à demeure. »

 

A bad place, Documenta de Kassel

 

De la Renaissance à l’art conceptuel

Le Val-de-Loire est une des plus importantes concentrations culturelles de France qui a vu défiler les plus grands artistes : Léonard de Vinci à Amboise et au Clos Lucé, Alexandre Calder à Saché, Max Ernst à Huimes, Olivier Debré sur les bords de la Loire… jusqu’à aujourd’hui Art & Language au Château de Montsoreau ! Sa directrice Marie-Caroline Chaudruc explique : « Il y a ici comme une tradition de l’avant-garde. Les châteaux de la Loire étaient à leur époque marqués par la nouveauté, l’humanisme, le génie architectural. On oppose souvent le patrimoine et la création alors que c’est un tout. Je souhaite réconcilier la création et le patrimoine. A y regarder de plus près, il n’y a pas de si grande différence entre la définition de l’art comme « cosa mentale » chez Léonard de Vinci et l’approche conceptuelle de Art & Langage. »

Composé d’un collectif d’artistes qui regroupe Michael Baldwin, Terry Atkinson, David Bainbridge, Harold Hurrell, Mel Ramsden, Charles Harrison, Art & Language, à ses débuts dans les années 1960, édite une revue fondée en Angleterre à Coventry. Ce mouvement créatif, à l’origine de l’art conceptuel, pose l’art comme langage, produit des œuvres collectives, compose des articles et des affiches inspirées de la philosophie analytique, de la pensée de Ludwig Wittgenstein et de la sociologie marxiste. Dans les années 1970, plus de vingt plasticiens étaient associés au collectif dont l’artiste américain Joseph Kosuth. Une scission s’opère en 1976 et aujourd’hui le collectif Art & Language compte deux membres : Michael Baldwin et Mel Ramsden, quelquefois rejoints par Mayo Thompson, leader du groupe de rock alternatif Red Crayola.

La collection de Philippe Méaille consacrée à ce collectif historique comprend plus de 1000 pièces ce qui permet de renouveler les accrochages. Seule une œuvre monumentale notoire datant de 1967 reste toujours en place. Air-Conditioning Show est une large installation qui produit de l’air conditionné dans une grande cabine vide et interroge sur le contexte et l’environnement du musée. En ce moment, l’exposition www.art-language.org est un site internet qui fonctionne comme un jeu de piste dans l’œuvre protéiforme de Art & Language (texte, musique, peinture…). Il est matérialisé à l’aide d’œuvres de la collection, occupe tous les niveaux du château et permet ainsi une lecture globale de toute la démarche du groupe. Cet été, l’accrochage sera remodelé pour laisser un vaste étage aux œuvres du photographe et plasticien Patrick Tosani. En novembre, une nouvelle proposition sera faite avec l’exposition Fous de Proust où seront présents une vingtaine d’artistes contemporains. Ce bâtiment chargé d’histoire et de culture sera un merveilleux écrin pour rendre hommage à l’auteur de La Recherche du temps perduCe ne sera pas la première fois que le château inspire des écrivains ou artistes plasticiens : en effet, c’est ici que Rabelais fait apprendre à nager à Gargantua, qu’Alexandre Dumas donne naissance à La Dame de Monsoreau, que William Turner pose son chevalet pour immortaliser les bords de Loire… et même, comme le rappelle Philippe Méaille : « Au début de Rencontres du troisième type de Steven Spielberg, le scientifique joué par François Truffaut revient de la conférence de Montsoreau ! »

 

Vue du Château de Montsoreau

 

Miroir mon beau miroir

Le château construit en tuffeau blanc apparaît comme un bateau à quai. Il miroite sur la Loire et illustre à merveille les questionnements proposés par Art & Language marqués par les relations entre perceptions, regards, reflets, surfaces et environnement. L’utilisation révolutionnaire du miroir par Michael Baldwin incarne cette démarche qui met en cause le fait que le sujet d’un tableau puisse être ce que montre le travail pictural de sa surface. Dans ce lieu de conte de fées, l’installation Mirror Piece (1965) scande les vastes salles du château et interroge sur la place du monochrome dans l’art. Doublés en angle, les miroirs se trouvent visuellement contestés dans leur stricte matérialité par le redoublement et les échos du contexte qu’ils proposent : chacun réfléchit l’autre et reflète autant sa surface que l’environnement – fragments de murs, sols, cheminées, vitraux, œuvres exposées, spectateurs.

Sur les terrasses du château aux toits recouverts d’ardoise d’Angers, face à la vaste Loire qui diffuse « la douceur angevine », l’introspection que propose la visite de la collection Philippe Méaille au Château de Montsoreau prend toute sa dimension. En approfondissant cette démarche intellectuelle dans cette nouvelle « Galerie des glaces » minimaliste, on se prend à fredonner la mélodie du Velvet Underground chantée par Nico « I’ll Be Your Mirror, Reflect what you are, in case you don’t know… »

 

Mirror piece, Art & Language (à gauche : Bernard Marcadet, lauréat du prix François Morellet remis au Château de Montsoreau ; à droite : Philippe Méaille)

 

Visuel de couverture : Shouting men, Art & Language

 

Château de Montsoreau – Musée d’art contemporain