La Galerie Pauline Pavec propose du 13 janvier au 20 février 2021 une exposition intitulée « Odore, l’art l’odeur et le sacré » première exposition sur l’histoire de l’art olfactif en galerie sous le commissariat de Sandra Barré.
/// Sandra Barré
En 1919, Marcel Duchamp offrait à son ami et mécène Walter Arensberg, l’Air de Paris enfremé dans une ampoule. Par ce geste, par ce ready-made où ce qu’on inhale est déterminé et porté au rang d’art, l’artiste français, père de l’art contemporain, ouvre la voie à une sacralisation plastique de ce qui se respire et s’établit : l’effluve.
En la choisissant comme medium, en lui permettant l’entrée bau panthéon des matériaux explorés par le vingtième siècle, Duchamp met en lumière combien la valeur artistique de l’odeur est estimable. Immatériel précieux, elle révèle les émotions et ravive la mémoire et lie ce qui s’hume à la grande tradition du sacré.
On pourrait voir dans cette importance qui rattache les croyances aux émanations, une matérialité de l’esprit, ou plutôt une dématérialisation des chairs. Lien qui unit l’espace réel à celui de l’invisible, à celui du divin, les senteurs marqueraient des ponts entre la terre et le ciel. Les parfums, odes imperceptibles adressées aux dieux comme substance de soi, transcendent les incarnations disparues.
L’âme serait-elle une fragrance ?
Ici, les œuvres présentées, toutes référant aux émanations, dessinent un voyage introspectif et interrogent la première la première attache qui a ramené les exhalaisons tout près des hommes, leur prédisant l’accessibilité à un autre monde. Les Grecs et les Romains couvraient leurs statues d’onctions, laissant aux effluves le soin d’envoyer leurs prières au divin ; les sorcières et les herboristes manipulaient les plantes en extrayant leurs essences, les chamans chargeaient les fumées de la promesses d’une traversée mystique.
Magicien.ne.s et alchimistes d’aujourd’hui, les artistes contemporain.e.s voient leur pratique et leur personne entrer en résonance avec la sacralisation des institutions culturelles. Le musée devenu lieu de pèlerinage sanctifie l’artiste, qui semble pouvoir y être accueilli en odeur de sainteté. Alors, le lien sacré se fait par une forme de mystification de l’œuvre et de son.sa créateur.rice et certains travaux odorants aux allures autobiographiques, pourraient être observés comme de véritables reliques.
Cette notion de relique olfactive s’envisage également par des morceaux de chairs qui rappellent des instants vécus , qui poussent à éprouver et qui destinent à ressentir. Car l’odeur permet l’évocation, une évocation intime, viscérale, qu’il n’est pas nécessaire de verbaliser, mais que l’on porte en soi, que l’on chérit, comme on le ferait des croyances, des prières et des souvenirs olfactifs personnels qui tissent la grande histoire.
Les œuvres d’ »Odore » sont la prolongation des traces de vie saisies par l’art. Naturelles, réelles, inventées, suggérées, fantasmées, sacrées, profanes, sales, immaculées, singulières, universelles, elles réactivent, une fois senties, un territoire qui n’est accessible que par les chairs et qui propose ici une autre manière d’envisager l’histoire de l’art , non plus par l’œil ou l’oreille, mais par le corps tout entier.
Sandra Barré – Commissaire d’exposition
Ancienne collaboratrice de l’Officiel des Galeries & Musées, Sandra Barré est chercheuse en histoire de l’art olfactif et en esthétique. Journaliste indépendante pour différents médias, elle a entamé une thèse sur l’esthétique plastique de l’odeur sous la direction de Jacinto Lageira et donne des conférences sur des thématiques telles que la représentation du corps féminin par l’odeur.
Elle a participé à l’ouvrage de recherche dirigé par Mathilde Castel Les Dispositifs olfactifs au Musée, ainsi qu’à Olfactory Art And The Political In Age Of Resistance, un ouvrage collectif américain à paraître aux éditions Routledge. Elle publiera en 2021 l’essai Art et Odeurs, aux éditions de la Lettre Volée.
Passionnée par la manière dont l’art peut s’exprimer par d’autres voies que celles de l’oculocentrisme, elle propose une lecture de l’histoire de l’art par le corps et s’emploie à valoriser les sens dits pauvres.