Le Musée de Montmartre présentera très prochainement une exposition intitulée « Le Paris de Dufy » explorant à travers un ensemble de deux-cents œuvres et documents les rapports du peintre avec la capitale, un sujet jamais traité jusqu’à aujourd’hui.
/// Stéphane Gautier
Organisée avec la participation du Centre Pompidou, en partenariat avec le Mobilier national et les manufactures des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie, avec les prêts des musées dépositaires, Chateau-Musée Grimaldi à Cagnes sur mer, du Musée d’Art moderne André Malraux-Muma au Havre, du Musée National de la céramique de Sèvres, le Musée des Tissus à Lyon, des musées des Beaux-Arts de Bordeaux, de Nantes, de Grenoble, d’Avignon, du Musée d’art Moderne de Paris, du Musée de la Mode de Paris, c’est à une exposition très complète sur Paris comme motif récurent dans l’œuvre de Dufy que nous convie le Musée de Montmartre.
Dufy arrive de son Havre natal en 1899, et découvre l’effervescence d’un Paris moderne, celui des expositions universelles, hérissé de monuments dont il va faire sa signature, et ce sur de multiples supports. Car l’homme est pluriel. Peinte, dessinateur, graveur (il illustrera le recueil « Le bestiaire ou Cortège d’Orphée » de Guillaume Apollinaire à la demande du poète), céramiste, créateur de tissus après sa rencontre avec le couturier Paul Poiret en 1909, décorateur considéré par 52 artistes et critiques comme le plus à même de renouveler l’art de la tapisserie, le peintre va décliner à partir de ces différents médium de multiples vues de Paris. De la Tour Eiffel, en passant par la Concorde, le Panthéon, ou le bois de Boulogne et les bords de Marne. C’est un Paris joyeux, un Paris mondain, un Paris piéton, celui des concerts privés, de la lumière électrique, et des scènes d’atelier qu’il va peindre. Gertrude Stein disait de lui : « Dufy est plaisir ».
Plaisir et mouvement, dans une vision enjouée et imaginaire de la ville lumière, car grâce à un subtil décalage entre un trait vif et la couleur posée en touches larges, vigoureuses et fluides, Dufy réussit à peindre la vibration du paysage citadin, et restitue le phénomène de la lumière. «Il découvre que fond et forme, ou matière et dessin sont unis mais libérées les uns des autres ». Au Salon d’automne de 1907, la grande rétrospective consacrée à Cézanne le persuade de l’importance de la géométrie des formes, il fréquente Braque durant un été et s’essaie au cubisme.
Loin des convenances d’une représentation à la topographie exacte, c’est un Paris fantaisiste aux premiers plans fleuris que peint Dufy. Il embrasse la capitale d’un large coup d’œil et le restitue en de larges panoramas dont le critique Christian Zervos dira : « Le voici s’amusant à prendre Paris comme sujet de son œuvre. Paris est représenté à vol d’oiseau. Les maisons serrées les unes contre les autres comme dans les anciennes représentations des villes qui ornent les relations de voyage. Par endroit se détache les monuments de la capitale. Pour en donner l’aspect principal, Dufy les a tournés tous vers le spectateur. L’effet est des plus heureux. »
Didier Schulmann, commissaire de l’exposition, analyse ainsi les vues parisiennes de Raoul Dufy : « La ville moderne avec ses maisons à étages rebuta la plupart des artistes. Seul peut-être de nos jours, Raoul Dufy a compris et montré l’âpre poésie collective des aspects alvéolaires que présente Paris, vu des coteaux qui l’environnent. Il en a composé un ample poème déroulé autour des monuments qui dominent la masse des constructions habitées, du Sacré-Cœur à l’Opéra, à Notre-Dame, au Panthéon, à la Tour Eiffel, au Trocadero et à l’Arc de triomphe. Et ce poème, comme pour mieux prouver que la matière ne compte pas et que l’esprit seul fait régir les arts, ce poème, Raoul Dufy, l’a tracé successivement dans le langage des couleurs, conduites par le pinceau, et dans le langage des laines, assemblées par la main du tapissier. »
Car dans un Paris artistique qui remet en cause la hiérarchie entre les arts, « vie moderne et art étaient deux conceptions dont la fusion dans le même creuset semblait révoltante ou, mieux, inconcevable ». Après ce constat porté par Robert Rey dans la préface du catalogue du Salon d’automne de 1924, Raoul Dufy ne va pas hésiter à s’adapter pour devenir décorateur.
« La véritable décoration est une œuvre conçue dans la matière de son exécution. Ceci assigne à l’artiste de devenir technicien s’il veut tirer d’un métier le concours indispensable des ses inventions », écrit Dufy dans un manuscrit inédit, et qui mieux que l’artiste lui-même peut traduire dans le textile la légèreté magique de sa touche ?
Dans les années 1920, la tapisserie conforte son lien avec la création d’avant-garde. Des institutions comme l’École Nationale d’Arts décoratifs d’Aubusson, et des personnalités exceptionnelles comme Antoine Marius (directeur de l’école) et Marie Cuttoli (collectionneuse, marchande d’art), feront travailler nombre d’artistes ; Jean Lurçat, Georges Rouault, Pablo Picasso, George Braque, Le Corbusier, Man Ray et Raoul Dufy.
En 1917 Jean Aljabert, directeur de la manufacture de Beauvais, lance un appel dans Le Bulletin de la vie artistique visant à sélectionner les artistes les plus aptes à créer des œuvres tissées. La réponse est claire, et Jean Lurçat dira : « J’ai voté pour Dufy et je n’ai pas été le seul puisque l’unanimité s’est faite sur ce nom. Nous estimions que c’était l’homme le plus proche de ce que nous considérions comme la tapisserie type, et nous pensions naturellement au Moyen Age, à ce coté mille fleurs, à ce coté pastoral, bref, dans le vieux sens du mot, à cet aspect gentil que la peinture de Dufy représentait », et c’est encore Paris que Dufy choisira d’illustrer avec les Tuileries, la place de la Concorde, la Madeleine, l’Opéra, le Panthéon pour son mobilier de Beauvais.
Un artiste pluriel donc, grand arpenteur de Paris, et qui, par le biais de cette exposition que lui consacre le musée de Montmartre, nous invite à une déambulation parisienne à travers ses toiles, ses dessins et ses créations textiles.