Du 9 au 31 mars, la Galerie Taglialatella présente une exposition d’impressions sur marbres de l’artiste franco-hongroise Julia A. Etedi.
Sur un espace à peine plus grand qu’une carte postale, sont visibles des formes noires saturées sur un plan unique. Cette composition centrée contraste vivement avec le marbre blanc sur laquelle elle est imprimée. Ainsi, les figures semblent être des reliefs qui auraient été lissées, créant l’impression de surplomber ce bouquet de sphères et de roses noires. Tandis que le vide laissé par l’encre fait respirer l’image, de fins rectangles de couleurs tranchent avec les courbes, en donnant une dynamique ascendante à la représentation. Le contraste et la saturation sont telles que l’image apparaît graphique alors qu’elle est au départ photographique. Un processus d’abstraction opère et s’accomplit dans le regard du spectateur, qui peut laisser aller son imaginaire, comme dans un test de Rorschach. Les roses se changent alors en tourbillon et les sphères en quarts de lune.
Par l’assemblage d’éléments hétéroclites, l’artiste crée un langage plastique qui mêle le noir et blanc à la couleur, la netteté au flou, les figures géométriques aux silhouettes insaisissables. Ainsi, Julia A.Etedi offre aux regards une « poésie visuelle », qui fait image dans tous les sens du terme. Comme le poète avec les mots, l’artiste déconstruit et triture les formes et leur sens, pour enrichir le tout. De là naît le paradoxe de son travail : elle extrait l’image de son référent, la libérant de la prison du langage alors même que la composition est rhétorique et peut-être lue comme une sorte de pictogramme métaphorique.
Ainsi, en associant la rose au crâne, l’artiste convoque l’iconographie de la vanité, rappelant l’éphémère et la fragilité de toute forme de vie. Mais ces formes sensuelles sont imprimées sur la roche, solide, noble et luxueuse. Le marbre de Carrare, utilisé par Michel Ange, reçoit sur sa surface polie une image qui ressemble aux sérigraphies de Andy Warhol. Or, la nature de cette rencontre est loin d’être anecdotique. En confrontant les techniques modernes de photographie et d’impression qui permettent la reproduction infinie des images, à la plaque de marbre, noble et unique, l’artiste reconfigure le propos de Walter Benjamin. Le marbre apparaît comme un pont qui relie l’œuvre à un passé reculé, aussi bien qu’à un futur lointain, lui permettant d’acquérir l’aura, à laquelle la photographie ne pouvait a priori prétendre. Et puisque les œuvres de Julia A.Etedi ont une existence unique et inaliénable, il vaut mieux ne pas se contenter de la reproduction ci-contre, et se déplacer pour aller à leur rencontre.
Texte : Elodie Réquillart
Crédit visuel : Julia A. Etedi, Silent Roar, impression sur marbre, 22 x 16 cm, 2017