Giacometti : des rives de la Seine aux bords du Nil

Giacometti : des rives de la Seine aux bords du Nil

L’Institut Giacometti prend des allures de mastaba, de moderne tombeau égyptien en exposant des œuvres du maître avec des pièces exceptionnelles du département des Antiquités égyptiennes du Louvre. Cette confrontation très réussie nous entraine des abords du cimetière Montparnasse jusqu’aux tombes des bords du Nil. Ici, à Paris L’homme qui marche, comme dans la chanson des B52,’ « Walk like an egyptian » !

/// Renaud Faroux

 

Giacometti au cours d’un voyage d’étude en Italie en 1920-1921 découvre Giotto à Padoue, le Tintoret à Venise, les mosaïques chrétiennes et l’art baroque à Rome et surtout l’art égyptien aux musées archéologiques du Vatican et de Florence. Il est accablé en même temps par l’expérience traumatisante du décès brutal d’un de ses amis. En 1946, il publie un texte important : Le Rêve, le Sphinx et la mort de T. dans lequel il rappelle ces souvenirs obsédants et raconte par un rêve sa sensation de percevoir la mort à travers les vivants.

©Eléonore Blanc

Pour les Egyptiens, c’est là le rôle même du sculpteur -qu’on nomme « sânkh »-, lui qui fait continuer à vivre et guide dans l’au-delà. Sa fonction est d’organiser la matière à l’image de Ptah à Memphis, le dieu créateur par excellence, le patron des artistes. Comme le montre avec maestria l’exposition, cette passion pour l’Egypte l’a accompagné tout au long de son œuvre : multiples études sur Le Scribe accroupi du Louvre, copies d’après les figures d’Akhénaton ou du couple Rahotep et Nefret du musée du Caire, Femme qui marche surréaliste dont la position hiératique est mise en relation avec la grande Statue de la déesse Nephthys.

Alberto Giacometti, Tête d’Isabel, 1936, Plâtre, 30,3 x 23,5 x 21,9 cm, Fondation Giacometti  ©Eléonore Blanc

Le rapprochement est encore plus évident lors de son retour à l’ordre et au réel avec La tête d’Isabel de 1936 surnommée L’Egyptienne dont la coiffe gonflée évoque celle d’un pharaon ou encore dans les exceptionnelles petites peintures de têtes et de bustes en relation directe avec les portraits envoutants du Fayoum. Seule pièce manquante de cette vaste présentation Le Chariot de 1950 ou une figure fragile tient en équilibre sur l’essieu d’un char de bataille égyptien.

C’est dans le cabinet des dessins que se lit de façon émouvante cette égyptophilie, particulièrement dans un Autoportrait de 1929 où l’artiste se présente sous les traits d’un scribe ou encore dans une autre belle feuille où se découvre les ébauches d’une Tête de Sésostris III associée à un autoportrait de Cézanne. D’autres croquis au crayon et au stylo bille montrent un intérêt constant pour les grands thèmes de l’art égyptien : fécondité, bonheur conjugal, symbolique du pouvoir.

Alberto Giacometti, Copie d’après un détail des musiciennes dans une fresque thébaine dans Kunst des Fernen Ostens, Crayon graphite sur livre, 35 x 25,7 cm (fermé), Fondation Giacometti © Succession Alberto Giacometti (Fondation Giacometti + ADAGP, Paris) 2021  ©Eléonore Blanc

Les autres salles proposent de façon magistrale des rapprochements iconographiques et stylistiques en confrontant des sculptures du maître à des œuvres pharaoniques : Femme debout de 1954 associée à une Statuette funéraire de porteuse d’offrande de la 12e dynastie, Figurine au grand socle rapprochée de la statuette de La dame Hénen pour leur utilisation similaires de la polychromie, Figurine en plâtre de 1955 aux seins généreux accolée à la Figurine d’Isis Aphrodite, bienfaisante déesse aux larges hanches. Poses hiératiques, bras collés le long du corps, pieds joints ou scellés au sol et la jambe gauche légèrement avancée pour signifier le mouvement de la marche, caractère archaïque de la matière…

Giacometti, toujours à la recherche d’une expression de « la totalité de la vie », saisit l’universalité de la présence humaine, ne copie pas servilement le style de la statuaire égyptienne mais en garde les principes formels pour mieux les magnifier et ne jamais se fixer dans l’immobilité. Il retient aussi que dans les bas reliefs égyptiens le visage et les membres sont présentés de profil, l’œil et le torse de face, le bassin de trois quarts. Ainsi, en 1956, la nerveuse et frémissante Femme assise ainsi que le solide Buste d’Eli Lotar reprennent la position d’un scribe et l’artiste joue sur l’opposition entre un visage plat, vu de face et un visage de profil, vu de côté.

Cercueil de chat, Basse Époque (664-332 av. J.-C.), Bois peint et doré, 37,7 x 13,3 x 19cm, Musée du Louvre, département des Antiquités
égyptiennes, E 2562 Photo © Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais/ Christian Decamp ©musée du Louvre

Pour renforcer ce savant dialogue, les œuvres du sculpteur et les prêts remarquables du Louvre sont présentés face à face, en vis a vis et évoquent l’alignement des sphinx au temple de Karnak ! Le rapport le plus tendre est suggéré par un gros chat en bois doré de la Basse époque avec un matou squelettique en plâtre du maître des lieux. Au beau félin qui tient la pose depuis deux mille ans s’oppose celui de Giacometti, pauvre chat de gouttière fragile, famélique et miséreux aux membres démesurément allongés. Cette ombre furtive qui emprisonne la lumière dans son réseau de lignes est une symbolique incarnation du sculpteur ! Elle évoque irrésistiblement la fameuse photo de Cartier Bresson où on voit sous une pluie battante la longue silhouette d’Alberto serré dans son imperméable qui traverse la rue d’Alesia.

Alberto Giacometti, Copie d’après Tête d’Aménophis IV, c.1920, Crayon graphite sur papier, 29,9 x 38,4cm, Fondation Giacometti © Succession Alberto Giacometti (Fondation Giacometti + ADAGP, Paris) 2021

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