Le monde en relief de Sam Szafran

Le monde en relief de Sam Szafran

Trois ans après la disparition de Sam Szafran (1934-2019), le musée de l’Orangerie met en lumière son travail à travers l’exposition Sam Szafran. Obsession d’un peintre du 28 septembre 2022 au 16 janvier 2023. L’événement expose plus d’une centaine d’œuvres comportant nombreux pastels, aquarelles, fusains, carnets de dessins, albums de photographies préparatoires, et se concentre sur les trois thèmes principaux qui ont traversé sa carrière : les ateliers, les escaliers et les feuillages. Carnets, albums de polaroïds, montages photographiques et un court film réalisé à l’atelier apporte un éclairage inédit sur ses créations.

/// Lolita Fragneau

L’exposition est introduite par une chronologie de l’artiste : né à Paris, dans une famille d’origine juive-polonaise, Szafran a vécu une enfance difficile marquée par les catastrophes de la Seconde Guerre mondiale où une grande partie de sa famille perdue la vie. A l’âge de dix ans, il est brièvement enfermé au camp de Drancy avant d’être libéré par les Américains. Après plusieurs déplacements dans diverses extrémités du monde pour échapper aux persécutions, il rentre en France en 1951 et commence à prendre quelques cours de dessins, s’intéressant particulièrement à l’abstraction et aux collages. Inspiré par les techniques d’Edgar Degas, l’artiste-peintre a cherché à réactualiser l’intérêt pour le pastel et sa luminosité.

Sam Szafran, Imprimerie Bellini, 1972, Pastel sur calque contrecollé sur carton, 139 x 100 cm, Collection particulière © Sam Szafran, ADAGP, Paris, 2022 Photo Galerie Claude Bernard / Jean-Louis Losi

La première partie – intitulée poétiquement « le chaos apprivoisé » – se concentre sur deux lieux qui ont marqué la vie de Szafran, mais aussi son œuvre : d’abord, l’atelier de la rue de Crussol, cet espace prêté par le peintre américain Irving Petlin, qu’il décrit de cette manière : « On y trouve les motifs qui deviendront récurrents selon les séries : les châssis retournés le long des murs (ici ceux de Petlin), le tub suspendu en hommage à Degas (La Bassine), le poêle à charbon, élément central de ce décor surréaliste, les boîtes de bâtonnets de pastel et les livres d’échantillons À La Gerbe qui se reflètent inversés, dans la verrière zénithale mal colmatée, la chaise longue capitonnée trouvée chez Madeleine Castaing où repose une figure amie… ».

Puis, la fameuse imprimerie Bellini – une ancienne fabrique de lithographies au 83 rue du faubourg Saint Denis qu’il nomme ainsi en hommage au peintre vénitien de la Renaissance – que l’artiste a repris et qui lui inspire une importante série de vues d’atelier. Regardés, scrutés, analysés, ces lieux fournissent les multiples facettes d’une observation sérieuse qui renouvelle sans cesse le motif. Un grand travaille sur les perspectives y est visible, notamment inspiré par son amour du septième art.

Sam Szafran, Escalier, 1981, Pastel sur papier, 76 x 57,5 cm, Collection particulière © Sam Szafran, ADAGP, Paris, 2022

La deuxième partie se nomme « vertige de l’espace » et se concentre sur son obsession de l’escalier en prenant pour exemple celui du 54 rue de Seine. Ce thème est existentiel, presque vital à ses yeux puisqu’il affirme que « Personne avant moi n’avait fait des escaliers, et moi j’ai toujours vécu dans les escaliers ».  A travers ces toiles, un élément – purement pratique servant à monter et descendre, se fondant dans le décor du quotidien le plus banal – est réemployé sous des dizaines d’angles différents, affirmant le regard particulier de l’artiste comme il l’indique lui-même : « Ce qui m’importait c’était moins de réussir une œuvre que de donner la possibilité aux gens de regarder un peu mieux. Le rôle de l’artiste c’était de donner un autre regard, un regard qui permette de voir autrement. » Il se plait à tordre l’espace, déformant les objets comme autant d’anamorphose surgissant pour signifier les altérations de la vision et sa non-fiabilité.

À partir du début des années 1990, l’artiste mène de nouvelles expériences autour de vues d’extérieurs. Désormais, Szafran utilise presque exclusivement l’aquarelle sur un support de soie, ce qui lui autorise des compositions de plus en plus grandes où il tente de mêler simultanément l’espace, le temps et le mouvement.

Enfin, la dernière partie – justement appelée « l’invasion de l’intérieur » – s’emploie à dépeindre une autre de ses obsessions : le feuillage. Il explique que, dans l’atelier du peintre chinois Zao Wou-Ki, il « étais fasciné par un magnifique philodendron qui resplendissait sous la verrière, et qu’il m’était impossible de dessiner ». S’ensuivit une représentation constante des plantes, principalement des philodendrons Monstera et des aralias. Plusieurs ensembles sont présentés : la série au pastel et fusain qui joue sur le contraste des couleurs, puis celle des feuillages bleus. Peu importe le motif, l’exposition transmet cet envoûtement qui submergea Szafran tout au long de sa carrière face à son environnement immédiat, le conjuguant avec son état intérieur et transmettant par-là son univers unique.

Sam Szafran, Lilette dans les feuillages (Hommage à Georges Perec), Février – aout 2003, Aquarelle sur papier, 94 x 149 cm, Collection particulière © Sam Szafran, ADAGP, Paris, 2022

Musée de l’Orangerie

  • Adresse : Jardin des Tuileries
  • Code postal : 75001
  • Ville : Paris
  • Pays : France
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