La Fondation Henri-Cartier Besson, un des plus hauts lieux parisiens de la photographie, termine l’année 2022 avec un hommage à la photographe Jan Groover, décédée il y a dix ans en 2012. Depuis sa disparition, Jan Groover. Laboratoire des formes est la première rétrospective à lui être consacré, donnant ainsi à voir l’évolution de son œuvre, de ses polyptyques originels jusqu’à ses incontournables natures mortes qui rythmeront l’essentiel de sa vie. A retrouver du 8 novembre 2022 au 29 janvier 2023.
/// Lolita Fragneau
Jan Groover (1943-2012) est une photographe américaine connue pour s’être renouvelée toute sa vie à travers son médium. Elle étudie d’abord la peinture au Pratt Institute à New York, mais change rapidement de voie par défis, car « la photographie n’était pas prise au sérieux » dans les années 1960 aux États-Unis. Elle affirme d’ailleurs « J’ai fait des études de peinture, mais je ne dis généralement pas que j’ai été peintre. […] Un jour, je me suis dit que je n’avais plus envie de tout inventer de toute pièce. J’ai donc abandonné la peinture. Et puis j’ai découvert que quoi qu’on fasse, il faut tout inventer de toute manière. » (Pure invention : The Tabletop Still Life, 1990). En 1967, Jan Groover achète son premier appareil photo, ce qu’elle qualifie comme étant son « premier acte d’adulte ». Son goût pour l’abstraction et la picturalité se retrouve cependant dès ses premières séries de polyptiques dont le sujet est démultiplié, fractionné ou caché derrière des formes opaques.
Pour appréhender l’œuvre de Jan Groover, Bruce Boice – critique d’art et époux de l’artiste – renvoie régulièrement au premier tirage abouti de la photographe : « c’était un diptyque, en noir et blanc, constitué de deux contacts 24 x 36 sur une feuille de papier […] Toute son œuvre ultérieure renvoie à ce petit diptyque. On ne peut pas photographier la négation ou l’absence. Mais le petit diptyque n’allait pas réellement dans ce sens. L’idée était plutôt de montrer que le champ était aussi important que la vache » (1999, Catalogue d’exposition Jan Groover. Photographies).
À partir de la fin des années 1970, Jan Groover se tourne vers la nature morte, genre classique des arts picturaux, qu’elle explore jusqu’à la fin de sa vie par une diversité exceptionnelle de sujets, de formats et de procédés. Alors que la photographie documentaire est à l’honneur dans des magazines tels que LIFE, Jan Groover met à profit ses connaissances en peinture dans son travail photographique et contribue ainsi à donner à la photographie abstraite ses lettres de noblesse, produisant des clichés pour le plaisir des formes, loin de tout sens ou revendications. S’inspirant notamment de Giorgio Morandi, elle photographie des ustensiles, la vaisselle, mais aussi des jouets ou tout autre objet qu’elle positionne d’une manière très précise pour revaloriser ces objets du quotidien, leurs donner un nouveau souffle.
Dans une autre section, le travail de Jan Groover intègre des séries sur le thème des autoroutes, de la voiture, mais aussi du portrait et des fragments de corps (Body Parts). Elle explicite son expérimentation ainsi : « J’étais sans doute en train de me débarrasser de nombreuses idées conceptuelles. Ce que j’appelle mes photographies de parties de corps – celles des jambes ou des genoux – illustrent très bien cette nouvelle relation que j’entretenais avec le monde […] Les gens ne sont pas nus, on ne peut rien y faire. Ce n’est simplement pas la normalité. La solution était donc simplement la chair, et pour obtenir de la chair, il faut la regarder. J’imagine les gens comme des poivrons verts » (Pure invention : The Tabletop Still Life, 1990).
L’exposition s’attache à montrer la polyvalence de ses techniques de création. Par exemple, son utilisation des polaroïds qu’elle compare à un « croquis qui permet de voir si l’intention est bonne », mais aussi son usage du tirage au platine et au palladium pour ses séries de clichés urbains ou les portraits de ses proches – comme John Coplans ou Janet Borden – concrétisent son statut d’actrice de la mutation du médium photographique.
Fondation Henri Cartier-Bresson
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