Dans les têtes de Stéphane Blanquet

Dans les têtes de Stéphane Blanquet

Du 5 septembre 2020 au 31 juillet 2021, la halle Saint Pierre présente le travail de l’artiste Stéphane Blanquet. 


Stéphane Blanquet, Sans titre [connu comme Métempsychose], Encre de chine sur papier, 2020, 75 x 110 cm (feuille), Collection de l’artiste

C’est une œuvre foisonnante, fascinante, parfois dérangeante, tourmentée, mais pleine d’humour et d’ironie qui se joue du beau et du laid, des codes de la culture et des sous-cultures. Les adjectifs pour qualifier l’œuvre de Stéphane Blanquet, artiste hors normes, sont nombreux, et paradoxaux.

Présenté à la Halle Saint Pierre du 5 septembre 2020 au 30 juillet 2021, Stéphane Blanquet vient déployer dans le temple parisien de l’art brut et de l’art Outsider son imaginaire tentaculaire. Une carte blanche qui est aussi pour lui l’occasion d’inviter des artistes internationaux avec qui il partage le même goût pour notre « humanité souterraine ».

Photographie de l’artiste 
© Zoé Forget / Serious Publishing

Dessinateur, plasticien, metteur en scène, réalisateur, Stéphane Blanquet a derrière lui un long parcours dans le milieu de l’édition où il a fondé en 1990 le mythique Chacal Puant, primé au festival de la BD d’Angoulême en 1996 pour le graphzine La Monstrueuse puis les United Dead Artists. Considéré comme l’une des figures majeures de la scène artistique underground, son univers tourmenté déborde largement du cadre de sa production graphique. Installations, spectacle vivant, scénographie, cinéma d’animation, costumes et décors de théâtre, jouets, poupées et autres objets atypiques et subversifs, ombres chinoises, sont autant d’espaces de création où Stéphane Blanquet signifie son parti pris : « La sous-culture est plus pernicieuse, plus virulente, plus vicieuse que l’art. L’art on sait où le trouver, il est au chaud, même s’ il se dit violent et anarchiste, il restera bien au chaud sous ses dorures. La sous-culture, elle, ne fait pas semblant, ne se donne pas des médailles, ou alors en chocolat. La sous-culture est toujours en danger, cachée dans la jungle, entre un paquet de lessive et des jouets en plastique bon marché. Même si parfois je flirte avec le milieu chaud et confortable, même si j’y glisse un doigt ou bien même un bras, le reste de mon corps est dans les intempéries du sous-sol ». Les sous-sols seraient donc l’univers matriciel de Blanquet, analyse Martine Lusardy, directrice de la Halle Saint Pierre, et co-commissaire de l’exposition, « un underground culturel réel où naissent ses images abrasives, mais aussi le lieu symbolique d’où provient la voix qui les anime. Ses influences seraient à chercher du côté de la bande dessinée érotique bon marché des années 70 à 90, cette littérature de gare licencieuse, au sexe explicite et à l’horreur débridée, aura été une inspiration directe ».

Stéphane Blanquet quant à lui, présente le processus d’élaboration de cette exposition ainsi : « Il est très rare que l’on vous donne les clefs d’un lieu pour l’investir entièrement, sur une longue période, en vous laissant libre de s’y déployer de bas en haut, sur tous les murs, dans tous les espaces, de l’investir avec des images, des dessins, des sculptures, des expérimentations visuelles, des couleurs et des lumières rouges vives, des nouvelles pièces rêvées pour le lieu. Il faut l’investir, se répandre, s’ouvrir soi-même et aller chercher sa propre matière. C’est à l’intérieur de soi que ça se passe, à l’intérieur de moi que sont mes images, mon univers, mes univers. Une tête ne suffit pas à contenir toutes mes envies, il m’en faut toujours plus, comme à mon habitude, plus de tout, plus de couleurs, plus d’espace, et évidemment plus de têtes. Plus d’univers nécessite / appelle / signifie plus de têtes.

Sans titre (The Residents), Encres de couleurs sur papier, 2019, 35 x 26 cm, collection de l’artiste // œuvre créée pour un événement des Residents au MoMA à New York

Dans les têtes de Stéphane Blanquet – dans mes têtes. Une exposition d’un an ne peut pas rester statique, je suis trop agité pour la laisser dormir confortablement. Il me faut de l’inconfort et mon inconfort sera généreux. Diviser un an en trois temps, exposition évolutive en trois moments, tous les quatre mois réinvestir l’espace, le faire évoluer avec de nouvelles images, de nouvelles installations, des œuvres peu vues, de nouvelles tapisseries, des nouveaux totems, de nouvelles têtes. Pourquoi s’arrêter là ? Ce n’est pas suffisant, ce n’est jamais assez, alors déployons. Au-dessus de moi, à l’étage, au-dessus de mes têtes, je veux montrer d’autres univers, des univers frères, des univers sœurs. Des invités du monde entier.Des peintres, des collagistes, des dessinateurs, des artistes du monde entier, en deux expositions successives, une cinquantaine d’artistes. Il faut se déployer dans la générosité. Donc, en même temps que les murs, lancer un journal, un hebdomadaire, La Tranchée Racine. Chaque semaine, sur toute la durée de l’exposition, une excroissance graphique, en couleurs, imprimée sur un beau papier. 40 numéros, 500 artistes du monde entier. Il faut au moins ça, c’est un minimum. Il faut le maximum. Dans mes têtes c’est comme ça. »

Blanquet choque, provoque, trouble, aime créer le malaise en manipulant nos frustrations et ses propres obsessions. Son univers torturé, angoissé, est peuplé d’hommes, de femmes et d’enfants que nous voyons habités par le démon de la perversité. Mais cette tension entre innocence et cruauté, entre jubilation sexuelle et pulsion de mort n’est pas désespérance sans issue. « Blanquet fait la peau au refoulé, ressuscite la chair, les corps délivrés de la culpabilité et de la peur de mourir » confie Martine Lusardy.

« S’user jusqu’à la corde, raide, raide et rouge. La radicalité d’un œuvre n’est pas collective, elle ne peut l’être, elle est avec soi-même, sans posture, à poil devant la mort ».