Avec l’exposition Extrudia, le Musée d’Art Moderne de la ville de Paris présente le travail de la sculptrice française Anita Molinero. Une expérimentation autour de la matière qui nous plonge au coeur d’une tension entre le dégoût et le sublime à voir du 25 mars au 24 juillet 2022.
/// Alina Roches-Trofimova
Les oeuvres d’Anita Molinero nous font pénétrer un univers inquiétant. Nous nous retrouvons face à face avec une matière intrigante qui pourrait aussi bien être de la chair brûlée que du chewing-gum et qui, malgré la solidité manifeste du matériau, donne l’impression d’être gluante, de pouvoir nous coller à la peau. Aux croisements du gore et de la science-fiction, les sculptures d’Anita Molinero ont à la fois quelque chose d’extraterrestre et d’extrêmement organique. Quels sont les traits de cette oeuvre protéiforme ?
Extruder signifie « donner une forme à un matériau en le contraignant ». Ici, si la contrainte s’exerce bel et bien, elle laisse libre court à une part d’aléatoire qui permet à la matière de s’exprimer. Procédant par torsion, accumulation ou combustion, la sculptrice accepte qu’il y ait dans son art des variables qu’elle ne peut pas parfaitement maîtriser. Placée au centre du travail artistique, la matière est le principal sujet de ces sculptures. L’un des matériaux favoris d’Anita Molinero est le polystyrène extrudé : un matériau utilitaire, employé dans le bâtiment, loin de la noblesse attribuée au marbre. L’artiste part principalement d’objets triviaux, voire de déchets : une poubelle, une balise de circulation, un tuyau d’échappement, etc. — objets à la périphérie de la société industrielle, omniprésents mais invisibles. Cet attrait pour la trivialité suit Anita Molinero depuis les débuts de sa création et son goût pour les sous-cultures punk et grunge ainsi que pour l’économie de la récupération. Parvenir à donner une seconde vie à des objets marginaux, leur offrir une dignité, sublimer le trivial — c’est là la force de ces sculptures.
En outre, la matière s’apparente parfois à du latex ou du vinyle et semble nous appeler. Il y a quelque chose de l’ordre du fantasme dans ces impressions de liquidité. Il y a également une forme de fétichisme incluse dans la fascination pour une esthétique à cheval entre le dégoût et la beauté — l’attrait du repoussant. Nous restons devant ces sculptures comme lorsque, devant un film d’horreur, nous mettons une main devant les yeux pour ne pas regarder la scène tout en choisissant d’écarter les doigts car on ne se résout pas à abandonner l’idée de contempler le gore.
L’horreur contenue dans les oeuvres est en partie due au choc de la catastrophe de la centrale nucléaire de Tchernobyl et à des des interrogations de l’artiste quant à la manière de vivre dans l’ère post-Tchernobyl. Dans un monde qui a révélé sa dangerosité, Anita Molinero évoque « le caractère toxique de l’invisible », comme pour nous avertir qu’un monstre peut être caché à chaque coin de nos rues. Entre abstraction et anthropomorphisme, ces résidus du monde industriel sont autant de silhouettes menaçantes qui, tout à la fois, nous repoussent et nous aspirent et, peut-être, nous mettent également en garde. Peut-être cette matière dont la société ne veut plus cherchera-t-elle un jour à se venger ?
Visuel de couverture : Anita Molinero, Sans titre (La Rose), 2003 [détail], 137 x 780 x 65 cm, Collection Frac Bourgogne Photographe Romain Moncet © ADAGP, Paris, 2022
Musée d’Art Moderne de Paris
- Adresse : 11 avenue du Président Wilson
- Code postal : 75016
- Ville : Paris
- Pays : France
- Tel : 01 53 67 40 00
- Site Internet : www.mam.paris.fr