“Habiter le lieu” ou comment l’art réinvestit le temps

“Habiter le lieu” ou comment l’art réinvestit le temps

Sous cette appellation évocatrice “Habiter le lieu”, la commissaire Anne-Laure Chamboissier a convié une dizaine d’artistes à investir autant d’adresses patrimoniales et culturelles en Touraine. 

”Habiter le lieu” est aussi une invitation à réinvestir le temps, pour ces artistes dépossédés d’espaces d’exposition et qui n’en n’avaient pas moins produit. 

Dès l’automne 2019, certains ont été reçus en résidence dans ces lieux emblématiques des Pays de la Loire, châteaux, manoirs, maisons d’écrivains et autres demeures restées pour eux ouvertes.

“Habiter le lieu” est ainsi une exposition collective survivante de l’ancien parcours ACTES qui a eu lieu en Touraine durant l’été. Passé au filtre réducteur de l’année Covid 2020, ce temps fort de la culture ressuscite aujourd’hui les travaux d’artistes résidents et résilients et qui ont poursuivi l’année dernière leurs restitutions plastiques. Autant de propositions qui s’offrent enfin au regard du public désireux de retrouver ces adresses mémorables d’un patrimoine régional exceptionnel, et de renouer avec des sensations et découvertes artistiques.

 

/// Stéphanie Bros

Comme le souligne le dossier de presse,

“(…) la thématique « Habiter le lieu » prend tout son sens en une période où chacun revoit ses modes de vie et les espaces qui l’entourent. Les artistes ré-interrogent ce qui constitue ces lieux, que cela soit à travers le prisme de leur histoire, de leur architecture ou de leur fonction. Ces œuvres dessinent une nouvelle cartographie sensible du territoire via leur regard singulier posé sur ces lieux”. 

Nous avons rencontré pour l’Officiel des Galeries & Musées certains de leurs emblématiques propriétaires, à l’hospitalité bienveillante comme en témoignent la réception et carte blanche qu’ils ont rendu possibles à ces artistes et créateurs. 

En poussant la porte de leurs demeures, nous y avons découvert aux côtés des hôtes et des artistes, Fabrice Claval (Claval Concept) qui œuvre à produire en plusieurs temps,  ces formats de créations.

Au Musée Balzac – Château de Saché et maison d’écrivain, dirigé par Isabelle Lamy, nous avons découvert la marche salvatrice dans les pas de l’auteur, vue par Léa Bismuth et Nicolas Boulard et intitulée sobrement Situations de vallée

 

Portrait de Nicolas Boulard ©Gilles Berquet

Leur résidence partagée a engendré un dispositif multimédia visible notamment dans la grange récemment restaurée et mise en lumière par Claval Concept, où se restituent dans la pénombre la marche sonore et sa mémoire spatiale commentées par les artistes déambulant de la gare de Tours au château, soit près de 23 km autrefois empruntés par Balzac lui-même. Leurs voix enregistrées puis remontées sans mixage reconstituent pour le spectateur absent de leur performance, pas moins de 11 extraits que forment les 5h de promenade conversationnelle ainsi captée. Diffusées en arrière fond sonore à la vidéo poétique des ciels mélangés qui se succèdent au gré de leurs parcours pédestre, la voix et l’image créent une ambiance immersive et onirique, en nous faisant passer visiteurs étrangers à de proches compagnons de leur expérience passée.

 

Portrait de Léa Bismuth ©Juliette Agnel

En complément, Léa et Nicolas ont investi l’intérieur du Musée pour mieux s’inspirer de l’intimité créatrice de leur célèbre occupant. Afin de traduire leurs préoccupations communes autour de la mise en situation dans un espace donné, ils ont pu se nourrir directement des œuvres de Balzac pendant leurs semaines de résidence habitée, comme lorsque Nicolas s’installe des heures entières, enfermé dans la cabinet d’écriture.

 

 

 

Nicolas Boulard et Léa Bismuth, Situations de Vallées, musée Balzac, Château de Saché.

 

“D’une eau de pluie récoltée dans la région traduite en nuancier, ou sortie tout droit de l’encre noire de l’écrivain, les œuvres des artistes cheminent progressivement pour rejoindre et incarner ce que Balzac a appelé la Théorie de la démarche, étudiant les corps en mouvement tout comme la naissance d’une « idée neuve ». Cette marche – aux marges du paysage comme de la page blanche – s’est fondue en un travelling temporel. Un livre d’artiste à quatre mains composé de textes et de photographies, paraît également à l’occasion de l’exposition.” 

 

Exposition Léa Bismuth et Nicolas Boulard.

 

♦ La présence fantomatique et la régénérescence de Montrésor par Valérie Sonnier.  

 

L’artiste, également professeure de morphologie aux Beaux Arts de Paris, a étudié dans ce lieu hugolien la trace laissée par des générations d’occupants, êtres évanescents et insaisissables qui constituent l’histoire de ce château de village. Les vestiges de leurs présences résonnent dans les salles et couloirs qui se succèdent, la neige des alentours redessine les contours de la bâtisse en autant de traces saisies par le crayon précis de l’artiste.

Confrontant son regard amusé et amoureux du lieu, Valérie égrène ses œuvres en disséminant son intervention dans les recoins du château, d’une chambre intimiste à l’âtre du foyer de la cheminée du grand salon. Elle revisite les portraits de famille noir et blanc en colorants leurs transfert fantomatiques sur des négatifs amplifiant l’étrangeté de leur apparence fragile. En négatifs retravaillés pour pousser les couleurs en lumières saturées, elle dit “avoir cherché et trouvé  l’or de Montrésor”. 

Elle utilise des filtres passéistes et contemporains reprenant aussi des peintures du domaine qui traduisent autant de scènes de vie de l’époque. Les carnages de la chasse comme les lieux de guerres passés ici, les moulages de mains des femmes qui y vivent encore, sculpturales et fantomatiques déposées sous les yeux tutélaires de leurs aïeules comme une séance de spiritisme convoquant le souvenir des âmes restantes, incarnent la présence subtile de Valérie dans cette familière étrangeté.  

 

Valérie Sonnier, Montrésor, 2020, Château de Montrésor ©Valérie Sonnier

 

Son expérience esthétique convoque la mémoire des êtres qui ne disparaissent jamais vraiment et l’on découvre son rapport à l’image et sa maîtrise du dessin. Disposés en livres séquences de son storyboard d’un film de famille muet en super 8 où seuls les rares bruits de la nature ultra présente comme cette pluie d’orage dans une nuit de vent ou  les derniers rires de silhouettes disparues en ombres portées ne forment plus que les relents évocateurs des présences passées.

 

Portrait de Valérie Sonnier ©Valérie Sonnier

 

♦ La trame du fil contemporain à Champchevrier par Diego Movilla

 

La trame et le fil perdu est le nom qu’a donné l’artiste Diego Movilla à son intervention au château de Champchevrier, habité depuis  des générations par la même famille, et aujourd’hui habité par Laurence Bizard – Hamilton et son mari. Ce lieu imposant peut s’enorgueillir de posséder un remarquable ensemble de tapisseries du 17ème siècle les “Amours des Dieux”, d’après des cartons de simon Vouet.

Diego Movilla, Le fil perdu, 2020, Château de Champchevrier, Cléré les Pins ©Diego Movilla

 

Se rapportant à l’histoire de l’art, l’artiste également enseignant aux Beaux arts de Tours, convoque ici les grandes icônes et figures habituelles, prises dans un maillage contemporain. 

En regard des scènes mythologiques accrochées dans la pièce, l’artiste en propose une version contemporaine. Il revisite la multiplicité des plans de lecture, les découpages de motifs, et multiplie les détails tirés des tapisseries de haute lisse. Des pans de papier peints et dessinés sont ainsi suspendus sur des rails mobiles. Cette installation recouvre un pan entier de la salle, habille le mur arrière renouant ainsi avec le rôle premier de la tapisserie, et grâce à un accrochage original et aérien permet multiplier les compositions.

Le motif est effacé ou grossi, la palette chromatique qui reprend les codes des tapisseries d’origine. Diego évoque volontiers les jacquards comme les premiers programmes pixelisant la surface et le motif. Un meuble à dessins mobiles complète cet ensemble à la portée du visiteur avec force détails et l’expression de tous les médiums favoris de l’artiste. 

 

Château de Champchevrier ©ADT Touraine

 

♦ Le dialogue souterrain de Didier Galas et Jean-François Guillon à La Devinière – Maison Rabelais.

Savamment reçu par Alain Lecomte son directeur qui n’est pas avare de sa connaissance rabelaisienne, le duo formé et invité pour l’occasion par le scénographe et homme de théâtre Didier Galas et l’artiste Jean-François Guillon détonne dans ce projet hybride intitulé Rien ne va plus.

Jean-François Guillon ©DR (à gauche) et Didier Galas ©F. Mori (à droite)

 

Pourfendant la morosité de ces derniers mois d’une création à l’arrêt, ils ont produit et composé un ensemble d’objets, de présentoirs à textes et de dispositifs langagiers détournant des références aux œuvres de Rabelais. Travaillant l’enluminure, les codes de la typographie ou encore ceux de la vidéo comme autant de sources de questionnements de notre rapport à l’image et au mot, ils créent une immersion dans ce lieu d’écriture, confondant le visiteur avec le passé littéraire et la fiction narrative. Ainsi à certaines interrogations contemporaines, les extraits percutants et créatifs de la langue de Rabelais se donnent comme des réponses potentielles ou anecdotiques, selon le regard du visiteur. 

 

♦ La carte et l’identité à la Chartreuse du Liget dans l’œil de Benoît Fougeirol.

 

Grâce aux propriétaires aventuriers de cette belle demeure, Etienne et Françoise Arnould, Benoît Fougeirol, photographe et enseignant aux Beaux arts de Rennes, a initié un inventaire imagé des environs de la Chartreuse. Grâce à son choix photographique, il explore également par la vidéo, l’ idée de frontière comme source de délimitation des espaces. Effaçant avec talent les limites d’extérieur-intérieur, le visiteur est plongé dans la découverte d’un dehors habité, qu’il explore depuis le seuil du lieu. La vidéo filme la forêt en mouvement vu depuis les alentours de la bâtisse, où la nature habite proprement les lieux.

“Pour les moines Chartreux « habiter » signifiait d’abord s’approprier un territoire, le délimiter et le gérer pour qu’il devienne leur espace de vie. La Chartreuse du Liget ne déroge pas à la règle avec son implantation à la lisière de la forêt de Loches.

 

Benoît Fougeirol, Livre des plentes, 2020, Chartreuse du Liget ©Benoît Fougeirol

 

De l’horizon de la forêt à l’ornementation florale des manuscrits enluminés par les moines copistes, la botanique est le fil qui relie le territoire au savoir et à sa transmission, le Livre des Plentes servira de guide pour observer le site, en réveiller l’histoire et révéler par la photographie un répertoire de formes entre nature, architecture et écriture, pour en interroger les analogies et les écarts.”

 

Vue de la Chartreuse du Liget

Les entretiens entre la commissaire Anne-Laure Chamboisser et les artistes sont à retrouver sur www.champrojects.com

 

Les lieux & les artistes visités

CHARTREUSE DU LIGET

BENOÎT FOUGEIROL, LIVRE DES PLENTES

Jusqu’au 19 septembre 2021

www.touraineloirevalley.com/patrimoineculturel/chartreuse-du-liget-chemille-surindrois/

https://www.benoitfougeirol.com/ 

 

CHÂTEAU DE MONTRÉSOR

VALÉRIE SONNIER, MONTRÉSOR 

Jusqu’au 31 octobre 2021

www.chateaudemontresor.com

http://www.valeriesonnier.com

 

CHÂTEAU DE CHAMPCHEVRIER- CLÉRÉ LES PINS

DIEGO MOVILLA, LE FIL PERDU

Du 15 juin au 11 octobre 2021

(ouvert au public et sur réservation de visites de groupe jusqu’au 20 octobre)

Vernissage le 10 juin à 19h

www.champchevrier.fr

www.diegomovilla.net

 

LA DEVINIÈRE- MAISON RABELAIS

JEAN-FRANÇOIS GUILLON ET DIDIER GALAS, RIEN NE VA PLUS

Jusqu’au 31 décembre 2021

www.musee-rabelais.fr

www.leshautsparleurs.org

 www.jeanfrancoisguillon.fr

 

 

MUSÉE DE BALZAC – CHÂTEAU DE SACHÉ

LÉA BISMUTH ET NICOLAS BOULARD, SITUATIONS DE VALLÉES

Jusqu’au 26 septembre 2021

www.lysdanslavallee.fr/fr/contenu/musee-balzac 

www.nicolasboulard.com

http://bruissements.net