Jan Saudek : La vérité se situe quelque part au milieu

Jan Saudek :  La vérité se situe quelque part au milieu

Dans la continuité de sa programmation consacrée à l’avant-garde tchèque à Paris, la Galerie Orbis Pictus dans le cadre de l’édition 2022 de Paris Photo expose le travail iconique du photographe Jan Saudek. Une occasion unique de découvrir ou redécouvrir l’œuvre d’un photographe, un feu vivant, qui s’est inscrit dans les cercles développés par Alphonse Mucha, Lewis Carroll, Hans Bellmer, Duane Michals, Robert Mapplethorpe. A découvrir du du 3 novembre au 23 décembre 2022.

/// Stéphane Gautier

 

Né le 13 mai 1935 à Prague alors en Tchécoslovaquie et ayant perdu la plupart des membres de sa famille dans le camp de la mort de Theresienstadt, Jan Saudek est un survivant de l’holocauste.

Larmes noires, Black tears, 1973, 37,5 x 29 cm, Tirage / Print 10/09/2022

C’est dans la Tchécoslovaquie communiste dès 1948, que Jan Saudek va découvrir la photographie en achetant son premier appareil photo, un Kodak Baby Brownie en 1950, et en faisant son apprentissage chez un photographe. Il est alors marqué par les scènes atroces des camps, et ses images reflètent ses pulsions de mort et ses fantasmes sexuels.  En 1952, il commence à travailler dans une imprimerie et ce jusqu’en 1983 obligé par le gouvernement communiste.

En 1963, après avoir découvert le catalogue américain du photographe Edward Steichen The Family of Man, il décide de devenir un photographe sérieux de l’art et en 1969 il voyage aux Etats-Unis où il est encouragé dans son travail par le conservateur de l’Art Institute de Chicago.

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A son retour, il transforme un sous-sol en studio avec une seule fenêtre dont il s’inspirera beaucoup. Ses premières photographies sont en noir et blanc, et ce n’est que par la suite dans les années 1970 qu’il abordera la photographie recolorée par ses soins lui donnant ainsi une dimension plus onirique pour « embellir » ce qui à l’origine est disgracieux.  Il puise son inspiration dans le travail de l’illustrateur Alfons Mucha mais aussi dans l’iconographie moyenâgeuse. Ses modèles sont de jeunes adolescentes ou des femmes opulentes et il sait tirer de ses modèles une beauté qui peut se révéler choquante. Son travail choque les autorités, il est menacé de censure, et se défend de l’accusation de pornographe. Son travail est tourné vers les thèmes de la liberté érotique personnelle, et il utilise des symboles politiques implicites de corruption et d’innocence.

A partir des années 1970, il se fait connaître en en Occident comme le premier photographe Tchèque. En 1983, son premier livre est publié dans le monde anglophone et les autorités communistes tchèques lui donnent la permission de demander un permis pour travailler comme artiste. En 1987, les archives de ses négatifs sont saisies par la police mais lui sont restituées plus tard.

Oh, ces magnifiques soeurs B. / Oh, those beautiful B. sisters, 1989, 23,5 x 25,5 cm, Tirage / Print 08/03/2017

Pour autant, c’est en Tchécoslovaquie (actuelle Tchéquie) qu’il décide de continuer sa carrière même s’il confie au collectionneur et critique Pierre Borhan devenu un ami « J’aime la France, il y a partout un sentiment de liberté, ce n’est pas une question de climat, c’est comme ça, et j’ai rencontré plein de gens formidables. Mais c’est pareil à Prague aujourd’hui ? Non, ça ne sera jamais pareil, dans mon pays c’est une liberté superficielle, ici, la liberté est à l’intérieur des gens, ils se sentent libres, ils marchent, ils parlent en hommes libres, c’est génial » (Archives de l’INA).

Jan Saudek est un photographe des antagonismes. Beauté. Laideur. Beauté dans la laideur. Amour. Haine. Espoir. Abattement, sont autant de qualificatifs que l’on peut appliquer à l’œuvre photographique de Jan Saudek. Les modèles sont maquillés, costumés, arrangés, et souvent habillés sur une photo et déshabillés sur l’autre. Le maquillage de ses modèles accentue tel ou tel trait physique, les veines sont par exemple coloriées en vert et accentuent l’effet artificiel de ses photographies.

Souvent provocantes, les photographies de Jan Saudek à partir des années 1970 empruntent autant à la peinture classique, au genre du portrait et aux clichés érotiques du XIXe siècles réalisés en studio, qu’elles établissent une œuvre déployant un imaginaire singulier et immédiatement reconnaissable.  Preuve de son importance dans le monde de la photographie, Saudek a été honoré du titre de Chevalier des Arts et des Lettres en 1990 et plusieurs films documentaires ont été consacrés à son travail.

Galerie Orbis Pictus